L'expression « relations de bon voisinage » n'est jamais à prendre au pied de la lettre, notamment dans la bouche des politiques. Le plus souvent, elle dissimule bien des frictions difficiles à maîtriser, bien des haines séculaires et toujours des prédispositions à déterrer la hache de guerre pour le moindre des malentendus. Jetez un coup d'œil sur la carte du monde pour vous rendre compte qu'entre pays voisins, ce n'est pas toujours la lune de miel et que cela dépend des jours : aujourd'hui, les rapports sont au beau fixe mais rien ne garantit que demain le beau temps se poursuivra ! C'est surtout en Afrique et en Asie que les voisins ont les rapports les moins amicaux.
Les états aux frontières communes Il fut un temps comme vous savez où, entre les pays du Maghreb, le torchon brûlait au moindre prétexte. Aujourd'hui, ça va beaucoup mieux ; seuls quelques différends entre le Maroc et l'Algérie persistent ! Le Soudan et le Tchad n'entretiennent que très sporadiquement des rapports de bon voisinage, idem pour la Somalie, l'Ethiopie et l'Erythrée. Entre le Burundi et le Rwanda, les guerres ethniques et tribales ont fait des centaines de milliers de morts, il y a moins de vingt ans. Au Congo, ça se passe plutôt mal avec les voisins du nord, de l'est et du Sud. Au Moyen-Orient, cela fait plus de 60 ans qu'Israël est en guerre contre ses « voisins » ; les accords de paix qu'il a signés avec quelques rares pays limitrophes ne lui ont jamais garanti la paix durable tant rêvée. Entre l'Irak et l'Iran, les velléités de guerre semblent s'apaiser ces derniers jours mais qui sait si le calme tiendra longtemps sur les frontières des deux pays. L'Iran a aussi des problèmes avec ses voisins du Golfe et pour la moindre étincelle on s'attend au pire là-bas ! Les relations entre l'Inde et le Pakistan sont en permanence entachées de suspicion et d'hostilité latente ou ouvertement déclarée. La Chine et le Japon s'aiment comme des frères ennemis et les deux sœurs coréennes chantent à l'unisson « je t'aime, moi non plus ! ». Entre les hommes c'est un peu comme entre les Etats. Les habitants d'une même rue, du même quartier ou du même immeuble, les voisins de palier, tous ces gens ne sont pas toujours bons amis. Des jalousies souterraines, des rancœurs jamais éteintes, de petits malentendus entre les enfants et les épouses, tous les prétextes sont bons pour, de temps en temps, empreindre les rapports de voisinage d'une touche d'hostilité et de violence aux retombées parfois dramatiques. Signalons toutefois que dans d'autres cas, les familles voisines restent très attachées les unes aux autres en dépit de quelques nuages insignifiants qui surviennent dans leurs relations : solidarité, partage, compassion, alliances matrimoniales, rencontres, soirées communes, voilà ce qui prévaut d'abord entre de tels voisins.
La maudite extension Les histoires qui suivent relatent des faits authentiques qui traduisent malheureusement tout le contraire des valeurs censées distinguer les relations entre des gens qui vivent côte à côte des années voire des dizaines d'années durant ! La première n'a en fait rien d'exceptionnel et elle est sans doute récurrente entre voisins tunisiens : il s'agit d'un fonctionnaire qui voulait agrandir sa maison et ouvrir un balcon au premier étage qu'il avait terminé une année auparavant. Mais pour obtenir le permis de construire les extensions envisagées, il lui fallut l'autorisation de son voisin de droite et celui de gauche à qui il avait donné son accord pour des projets semblables par le passé. Seulement, ces derniers refusèrent catégoriquement et allèrent jusqu'à interdire les travaux qui n'avaient rien à voir avec les extensions projetées. Tour à tour, ils se relayèrent pour épier leur voisin et guetter le moindre coup de pelle ou de pioche suspect chez lui. Au fil du temps, les rapports se sont encore envenimés et à ce qu'on nous a raconté, un procès a été intenté par le fonctionnaire contre l'un d'eux pour une barrière mitoyenne qui débordait sur son jardin !
Sur le toit de l'immeuble ! Dans un registre différent, l'incident suivant a éclaté entre deux voisins de palier dans un immeuble de la capitale. Les deux habitants ont planté leurs paraboles respectives sur le toit du bâtiment, mais l'un d'eux qui avait loué son appartement avant l'arrivée de l'autre, avait fixé son engin juste au-dessus de l'appartement qu'allait habiter le deuxième locataire quelque temps après. Jusqu'aujourd'hui, les disputes n'ont jamais cessé entre eux à cause de la parabole dont le bruit et l'emplacement dérangent apparemment plus qu'il n'en faut le voisin « lésé ». Des querelles pareilles éclatent aussi entre les femmes qui étendent leur linge sur le même toit : c'est à qui criera le plus fort et à qui se montrera la plus grossière et la plus belliqueuse !
La vieille fille et le voisin célibataire Toujours à propos des immeubles, le locataire d'un appartement d' El Mourouj rapporte que sa voisine qui tient à marier sa fille la lui envoie de temps en temps pour proposer des travaux ménagers « bénévoles » ! Quand elle a remarqué que le jeune célibataire ne voulait pas des services de sa fille, elle commença d'abord par mettre des souris et des cafards morts juste à l'entrée de son appartement ; par la suite, elle se plaignit au syndic sous prétexte qu'il salissat les couloirs et ne nettoyait pas devant sa porte. Continuant sur sa lancée, elle l'accusa récemment d'avoir invité chez lui une fille de mauvaises mœurs et même de vivre en concubinage avec elle. « Cela dit, ajoute notre interlocuteur, elle ne s'empêche pas de me dire bonjour de temps en temps et de me proposer quelques douceurs confectionnées par sa protégée toujours sans prétendant ! ».
Abus de confiance M.Néjib a décidé l'année dernière de louer à Sousse un appartement pour les deux mois de l'été. Avant de partir, il confia quelques objets et engins de valeur à l'un de ses voisins avec qui il entretenait jusque-là d'excellents rapports. Il y avait parmi ces objets un poste de télévision, deux récepteurs, une console de jeux avec ses deux mannettes et une petite machine à laver. A son retour, il constata avec sa femme et ses enfants que tout a été utilisé pendant leur absence et qu'une des mannettes de la Play station avait disparu. Le voisin jura sur la tête de ceux qu'il connaissait et sur celle des gens qu'il n'a jamais rencontrés que personne n'y a touché et qu'il n'avait reçu du voisin qu'une seule mannette. Il se dit même offensé, insulté en se voyant ainsi accusé d'abus de confiance. Que pouvait faire notre malheureux estivant face à une telle réaction culpabilisante sinon présenter ses excuses et s'en vouloir de passer ses vacances chez les autres !
Mariage endeuillé La dernière histoire est plus triste ; elle oppose deux voisins de longue date. Le hasard a voulu que le fils du premier fixe la date de son mariage pour par exemple le 15 juillet, or le 14 de ce mois un membre de la famille du voisin décéda. C'était vers 22 heures alors que la fête battait son plein dans la maison d'à côté. Quand on apprit la triste nouvelle, on fit taire les tambours et les youyous mais le lendemain, les réjouissances reprirent et le son du mezoued résonna toute la soirée aux quatre coins du quartier et bien sûr chez la famille endeuillée. Quelqu'un du voisinage se porta volontaire pour demander à la famille en fête d'être moins bruyante dans l'expression de sa joie. Il fut courtoisement éconduit : « nous ne pouvions tout de même pas prévoir ce funeste événement et puis vous ne voulez pas que le mariage de notre fils unique se déroule dans une ambiance d'enterrement ! ». Depuis cette date, le froid le plus glacial caractérise les relations entre ces voisins qui ne s'adressent plus la parole et en veulent à mort à tous ceux parmi leurs membres qui tentent le dégel !