Le célèbre hebdomadaire "The Economist" a placé une terrible phrase l'année dernière *: "les journaux sont désormais une espèce en voie de disparition". Pour sa part, le récent bulletin de l'Association Mondiale des Journaux (décembre dernier) propose aux journaux du monde entier d'enclencher la troisième annonce de la campagne: "La vérité sur les journaux" où il s'agira (nous citons): "de combattre les mythes négatifs de la désinformation à propos de l'industrie de la presse". De tels plans de survie pour démentir les prophéties de malheur et défendre les intérêts de l'industrie de la presse dans sa dimension historique, dans ses valeurs éthiques, ses apports sociaux et dans sa place d'avant-garde (oui elle reste la référence suprême!) en matière d'information, est un devoir. Cela dépasse et de loin, le cadre restreint des revendications corporatistes. Car la presse écrite reste le vecteur essentiel de la fidélisation, de la communication saine et l'outil le moins violent de tout l'arsenal des médias modernes. Si Nicolas Sarkoay engage l'Etat dans un plan de redressement, et de survie même, de la presse écrite française (malgré ses lobbies, ses capitaux privés immenses, ses titres internationaux et le foisonnement des journaux régionaux et de proximité) c'est qu'il est conscient qu'une société évoluée ne saurait vivre sans journaux. A l'ère où l'Internet et le numérique informent en temps réel, mais versent également dans la désinformation, stimulent des blogs des sites dont la volatilité (et la couverture de l'anonymat) sont aux antipodes de la pondération, l'art de la confection de l'écrit et la presse classique voient s'ébranler le sol des certitudes sur lequel ils vivent depuis près de 150 ans. Parler aujourd'hui de défi est tout à fait suranné. Parler de survie serait apocalyptique. Mais le journal fait face à deux adversaires implacables: la communication qui prétend se substituer à l'information et au commentaire les coûts d'exploitation énormes, le papier en premier. Et chez nous? La question est: pourquoi les journaux tunisiens ne contrent-ils pas les difficultés en rangs serrés? En fait des décideurs (privés et publics) confondent entre intérêts inhérents à l'industrie de la presse et lignes éditoriales. Or ce qui se décide dans les rédactions est le fait du journal. Mais dès que l'imprimerie commence à tourner c'est tout l'environnement qui entre en jeu. Quels circuits de distribution? Quelles techniques de vente (surtout chez nous le seul pays où il n'y ait pas de "criée") et, finalement, vers quel lecteur se dirige (ou dirige-t-on) un journal, de simples feuilles rassemblées mais qui auront nécessité une conjonction d'efforts de la part de dizaines de personnes? L'industrie de la presse emploie des milliers de personnes en Tunisie. Les entreprises de presse paient cher le papier, assument des charges lourdes et sont tenues d'être transparentes. Leurs employés perçoivent des salaires (ou des émoluments) "retenus" à la source. Il appartient dès lors aux pouvoirs publics de rendre possible une réelle mise à niveau du secteur, de concevoir une sorte de compensation et de s'en occuper autant que du carburant et des céréales. Et avant d'en arriver à l'architecture du lectorat, dissipons d'abord certains brouillards autour de la plate-forme quant aux critères d'évaluation. Cultivons la diversité et ne pénalisons pas la qualité. Raouf KHALSI * La brochure mensuelle éditée par l'Association Mondiale des Journaux