Chez nous, lorsqu'un commerçant affirme que son client est roi, il ne faut le croire qu'à moitié (et c'est généreux ainsi !), parce que le plus souvent c'est un slogan creux. En clair, c'est surtout pour se payer la tête non couronnée de ce dernier. Nous avons choisi de prendre nos exemples probants non pas dans le monde des fonctionnaires bureaucrates, parce que là, les spécialistes de « la sourde oreille » et de « la lettre morte » sont anesthésiés contre les critiques émanant du citoyen et des journalistes. Ils vous rappellent un peu votre chat que vous engueulez pendant une heure pour avoir passé la nuit à miauler à votre fenêtre en compagnie de ses maîtresses et de ses rivaux et dont la première réaction après le coup de semonce est de...miauler ! Non, nous parlerons plutôt de prestataires de service pour qui le client constitue la principale source de profit. Vous avez sans doute été plusieurs fois victime de cette pratique : un chauffeur de taxi passe sous votre nez, il est en service, n'a pas de client à bord, ne donne aucunement l'air de répondre à un appel urgent puisqu'il roule plutôt lentement et guette les clients potentiels ; vous le hélez, il vous voit ; vous le hélez encore en agitant les bras et tout votre corps, puis en donnant de la voix ; rien n'y fait, votre tête ne lui plaît pas, il vous nargue et passe comme si vous n'existiez pas et n'avez jamais existé ! Dans d'autres situations, il daigne réagir pour vous signifier avec des gestes pas très pédagogiques qu'il ne va pas dans votre direction, ou bien il vous fait comprendre en désignant sa montre que pour lui, c'est l'heure d'on ne sait quel devoir. Parfois aussi, il prend une pause-chicha dans un café et vous conseille de ne pas l'attendre, vous laissant entendre de plusieurs manières qu'il ne veut pas de votre argent. Ou alors, il refuse de vous prendre sur sa route parce qu'il attend quelqu'un ! Or visiblement et ça crève les yeux, vous n'êtes pas...quelqu'un !
Jus de chaussettes Dans un café très vieux et très connu de l'avenue Habib Bourguiba, nous étions la semaine dernière avec des amis algériens que nous avons invités à savourer en notre compagnie un bon thé à la menthe de chez nous. Nous fûmes servis au bout d'un quart d'heure d'attente à une table où les verres et les tasses des clients précédents durent attendre avec nous le garçon pour les ramasser. Lorsque le thé arriva sur notre table, il était presque froid, sans menthe ni même rondelles de citron et il avait le goût âcre d'un produit acide. Nous fîmes part de ces remarques au serveur qui multipliait depuis le début les moues et les grimaces à notre intention comme si nous le gênions dans ses parties intimes. Après cela, il nous proposa de prendre autre chose ou d'attendre qu'on réchauffe le thé au goût de chaussettes. Nous commandâmes cet « autre chose » qui s'avéra insipide et deux fois plus cher que le thé. Au moment de nous rendre la monnaie, le serveur prit tout son temps et fit semblant de chercher dans ses poches une pièce de cent millimes qui ne sortit pas et qu'il ne nous rendit jamais. Il s'excusa tout de même pour ce pourboire qu'il nous arracha sans vraiment le mériter !
Deux poids, deux mesures L'autre jour, nous rentrions de Sousse en louage. Arrivé à hauteur du stade de Radès et sur l'autoroute, le chauffeur déposa sans grogner une dame d'un certain âge. Quelques kilomètres plus loin, il s'arrêta pour que descendent deux jeunes étudiantes au niveau d'El Mourouj. Nous étions toujours sur l'autoroute et il lui était donc interdit de déposer ses clients. Quand nous atteignîmes le boulevard du 15 Octobre, après le rond-point du lycée El Ouardia, nous demandâmes gentiment au chauffeur s'il était possible de s'arrêter et de nous permettre de descendre. Il refusa net en alléguant la présence d'un agent de la circulation dans le coin et nous parla de la lourde amende à payer contre ce genre d'infractions. Nous le priâmes alors de s'arrêter un peu plus loin, devant la régie de tabac. Pas possible non plus, « vous ne les connaissez pas ces agents, ils peuvent à tout moment et en tout endroit surgir pour vous verbaliser ! Attendez qu'on arrive à la station de Bab Alioua, je m'arrêterai là-bas ». Ce qu'il fit d'ailleurs devant au moins trois agents dont pas un seul ne daigna le regarder !
Division du travail Plus récemment, nous étions dans une banque non pas pour retirer de l'argent mais pour en déposer dans le compte épargne. Derrière le guichet, il n'y avait qu'une dame occupée à chercher dans sa boîte d'archives le dossier d'un demandeur de chéquier, et le caissier qui se tournait les pouces. Cinq clients attendaient pourtant d'être servis, mais la dame était toujours perdue au milieu de sa boîte. Derrière elle, deux autres agents, un homme et une femme tournaient et retournaient des relevés de comptes puis se perdaient en hypothèses à propos du débit de leur créancier. Pendant ce temps, la file d'attente grossissait de quelques autres clients impatients. Au bout de quelques minutes, le caissier daigna arrêter le manège de ses doigts pour venir aider sa collègue débordée par les...dossiers. Les opérations se firent donc plus rapides et les clients ne tardèrent pas à rejoindre la caisse où, bien sûr, il n'y avait personne ! Décidément, ce n'est pas facile à vivre la division du travail !
Roitelets désargentés Notre dernière mésaventure a pour héros un pompiste dans une station de service de la capitale. Il a en permanence le même comportement étrange avec les acheteurs de pétrole et de fuel quand surtout ils ne sont pas motorisés. Dès qu'ils sont là, il est comme atteint de myopie ! Leurs silhouettes ont sur lui l'effet d'un spectacle froissant terrifiant même. Les clients ont beau faire le pied de grue devant la pompe, la station a beau être déserte d'automobilistes, lui, il fera toujours l'absent ou bien trouvera autre chose à faire à ce moment. S'il décide enfin de venir jusqu'à vous, il le fera au ralenti et avec beaucoup de mauvaise volonté. C'est un peu comme s'il s'agissait de vous céder sa place au paradis ou de vous accorder une faveur semblable ! Ne croyons donc personne à propos de cette couronne fictive avec laquelle les bonimenteurs nous roulent pernicieusement dans la farine. Parce que dans la majorité des cas, vous n'êtes traités en rois que quand vous l'êtes pour de bon ou que vous en avez le pouvoir et la fortune. Là oui, tout le monde se plie en quatre et en plus si vous le désirez, pour vous servir ! Le comble pour ces chasseurs de clients rois, c'est qu'ils peuvent tomber sur des roitelets désargentés venus des pays du Nord (entendez certains touristes), qui au moment de payer chicanent pour deux sous et parfois pour un seul !