La Chine accélère discrètement mais résolument sa stratégie de réorientation de ses réserves de change, estimées à 3.200 milliards de dollars, en réduisant drastiquement ses investissements dans les bons du Trésor américain au profit de l'or et d'actifs alternatifs jugés moins vulnérables aux pressions politiques de Washington. Une évolution stratégique révélée par le Financial Times et confirmée par les dernières données financières américaines. Une baisse de 27 % des bons du Trésor en deux ans Entre janvier 2022 et décembre 2024, la Chine a réduit ses avoirs en bons du Trésor américain de 27 %, pour atteindre 759 milliards de dollars, selon les statistiques officielles américaines. À titre de comparaison, entre 2015 et 2022, cette baisse n'avait été que de 17 %, illustrant une nette accélération de la dédollarisation chinoise. À la place d'une vente massive qui aurait pu provoquer une instabilité des marchés financiers, Pékin a opté pour une stratégie dite « Téngnǔ », autrement dit une « marche prudente sur une corde raide ». Cette méthode consiste à équilibrer rendement, liquidité et sécurité, tout en préparant les institutions chinoises à un environnement économique potentiellement conflictuel avec les Etats-Unis.L'or gagne en importance dans les réserves chinoises L'autre pilier de cette stratégie repose sur le renforcement des réserves d'or. Depuis la fin de l'année 2022, la Banque populaire de Chine a augmenté ses achats d'or de 18 %, faisant passer la part du métal précieux dans ses réserves à 6 %, contre seulement 2 % quelques années auparavant. Selon James Steel, analyste chez HSBC, il s'agit d'une politique « modérée, régulière, mais extrêmement bien pensée », visant à réduire la dépendance au dollar américain tout en consolidant la stabilité à long terme des réserves chinoises. Le refuge des actifs semi-gouvernementaux américains En parallèle, la Chine a accru ses positions dans les obligations de Fannie Mae et Freddie Mac, deux institutions parapubliques américaines spécialisées dans les prêts hypothécaires. Leurs titres sont perçus comme des alternatives plus discrètes mais toujours liquides aux bons du Trésor. Entre 2018 et 2020, la Chine a augmenté de 60 % ses investissements dans ces actifs, pour atteindre 261 milliards de dollars. Anticipation de sanctions : une leçon venue de Moscou Ce réalignement prudent intervient dans un contexte géopolitique incertain. L'exemple russe – dont les réserves en dollars ont été gelées par les puissances occidentales en 2022 à la suite de la guerre en Ukraine – reste vif dans l'esprit des décideurs chinois. Une étude de l'université Tsinghua publiée en 2024 résumait : « Le gel des avoirs russes démontre l'hégémonie financière américaine. La Chine doit en tirer les enseignements. » Des limites à la diversification Toutefois, des voix au sein même de l'appareil chinois appellent à la prudence face à cette stratégie de réallocation. Eswar Prasad, économiste à l'université Cornell, estime que les alternatives réellement crédibles aux bons du Trésor restent rares, notamment en termes de taille et de sécurité. Certains responsables chinois reconnaissent qu'il pourrait être nécessaire de sacrifier une part de rendement au profit de la sécurité, dans l'éventualité d'un affrontement politique ou commercial plus dur avec Washington.0 Ainsi, la Chine poursuit une transformation méthodique et géopolitiquement motivée de sa stratégie de réserves. Sans rupture brutale, mais avec une détermination croissante, Pékin entend réduire son exposition à un système monétaire dominé par les Etats-Unis, en pariant sur la stabilité de l'or, la diversification prudente des actifs et la résilience en cas de conflit monétaire mondial. Un virage silencieux mais qui pourrait avoir un impact durable sur les équilibres financiers internationaux. Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!