Encore un accident, et encore un bus de la Transtu ! C'est à se demander si l'année 2008-2009 ne serait pas celle de notre chère société de transport ! L'accident d'avant-hier qui a causé la mort de trois passagers vient s'ajouter à la longue et triste liste des tragédies de la route. Les plus récentes statistiques nous apprennent que, chez nous, 1500 personnes meurent chaque année dans un accident de ce genre et 15.000 autres s'en sortent avec des blessures plus ou moins graves. Plus de la moitié des victimes (55 %) ont entre 15 et 39 ans. Ce qui donne deux morts et 22 blessés par jour parmi la population jeune. Ces chiffres effrayants nous maintiennent toujours au sommet de ce classement mondial dont nous nous passerions bien. Ils s'expliquent de diverses manières et ces facteurs sont pour la plupart imputés aux attitudes négligentes et irresponsables des conducteurs. Mais alors, doit-on remettre en question la formation que ces derniers ont reçue avant d'obtenir le permis de conduire ? Les examinateurs qui signent ces documents sont-ils à ce point, négligents et incompétents pour les délivrer à de futurs kamikazes ? Qui a fait qu'aujourd'hui le permis de conduire se transforme en permis de...tuer ? Nous avons posé la question à quelques Tunisiens et avons rapporté dans le présent article leurs avis. Mais la porte reste ouverte à toutes les opinions sur le même sujet ! Ramzi Fadhli (employé de café, 23 ans) :
La légèreté des jeunes... ! « Ne me parlez pas d'une heure de conduite, parce qu'on perd plus de 15 minutes parfois pour rejoindre l'endroit où la séance se déroulera et pour en revenir. Quant au moniteur, il n'adopte pas toujours l'attitude pédagogique convenable pour te mettre à l'aise ; sur chaque question, pour tout détail, il intervient et dicte ses décisions. Quand ils sont deux à se relayer pour assurer la formation, il arrive que tu ne parviennes pas à comprendre lequel suivre car ils se contredisent sur l'application de certaines règles de la conduite. Concernant l'apprentissage, il coûte trop cher à mon avis ; il faut débourser plus de 1000 dinars pour apprendre à conduire et obtenir son permis. Sans compter qu'à chaque nouvel examen, il faut dépenser 100 dinars de plus. Pour un jeune de ma condition, c'est hors de portée. Je m'estime heureux de n'avoir eu à passer l'épreuve de conduite que deux fois, mon frère, lui, est passé six fois devant l'examinateur et j'en connais qui ont renoncé au permis à cause de leurs échecs successifs. C'est vrai que l'examen est assez dur en Tunisie et je ne m'opposerais pas à ce qu'on y observe encore plus de rigueur. Les accidents sont dus entre autres à cette indulgence dont on fait preuve à l'égard de certains candidats et candidates. Oui le piston et la corruption font encore leur effet sur les examinateurs, peut-être pas autant qu'autrefois mais la pratique a toujours des adeptes, comme partout ailleurs, du reste ! Je propose qu'on désigne une commission de trois examinateurs afin que l'évaluation du candidat soit plus objective et plus équitable, parce que les abus et les injustices existent. Concernant les facteurs qui expliquent le nombre élevé des accidents de la route, je place en tête la légèreté des jeunes au volant ; dans certains cas, ces conducteurs irresponsables n'ont même pas suivi de cours de formation et ont pourtant obtenu le permis par les voies que vous devinez. Quand on sait en plus qu'on ne retire plus le permis et que les contrevenants ne sont que verbalisés, on s'explique encore mieux le nombre toujours croissant des accidents. La contravention n'a jamais été un bon moyen pour le diminuer. » Azzouz el Hajji (chauffeur de camion, 42 ans) :
Le non-respect du code de la route C'est vrai que l'auto-école n'apprend pas tout à ses clients. Mais la conduite n'est pas l'affaire de quelques heures passées au volant d'une voiture, fût-ce sous la houlette du meilleur formateur au monde ! Car c'est un apprentissage de tous les jours, c'est une compétence qu'on acquiert avec le temps et l'exercice répété. Qui chez nous peut prétendre n'avoir jamais eu d'accident, même mineur ? L'auto- école n'est qu'une première étape de l'apprentissage, essentielle mais pas suffisante. Et puis est-ce la faute du moniteur si en conduisant votre propre voiture vous ne respectez pas le code de la route qu'il vous a pourtant bien enseigné. C'est comme pour l'élève qui, une fois dans la rue, oublie les règles de grammaire apprises en classe. Ce type d'amnésie nous coûte malheureusement trop de vies humaines. Pour ce qui est de la corruption des examinateurs, de mon temps, elle était légion ; mais il me semble qu'on est plus ferme actuellement. Le principal facteur des accidents selon moi, reste l'insouciance des jeunes et des moins jeunes au volant. Noureddine Flija (commerçant, 29 ans) :
La conduite est une formation continue L'avantage en ce qui me concerne c'est d'avoir été formé à l'auto-école et avant cet apprentissage par feu mon père. La conduite est une formation continue, mais personne chez nous n'accepte de se recycler. Chacun prétend être un as du volant qui n'a plus rien à apprendre. Sur la route pourtant, nous commettons tous au moins une infraction par jour, et ne mesurons la gravité de nos fautes que lorsqu'elles provoquent des tragédies ou nous coûtent cher financièrement parlant. Dans les écoles de conduite, il faudrait peut-être programmer la projection de flashes ou des spots comme ceux de la télé pour contribuer plus efficacement à la prévention routière et pour responsabiliser davantage les apprenants. C'est peut-être à ce niveau que la formation est lacunaire. Sinon, on peut déplorer que certains soient âpres au gain et relèguent au second plan la formation solide des candidats. Mais la responsabilité des formateurs n'est pas vraiment engagée dans le nombre élevé des accidents. Après tout ce ne sont pas eux qui éprouvent les candidats, ou délivrent les permis de conduire. Cela dit, je ne peux pas exclure que certains puissent intervenir en faveur de tel client ou de telle cliente auprès de « l'ingénieur ». Pour conclure, je dirai que dans l'apprentissage de la conduite il y a une chaîne d'acteurs et de responsabilités, mais le conducteur assume le rôle déterminant. Parce que si à un moment ou un autre de sa relation avec la voiture, il « ne tient pas la route », tout le travail des autres acteurs tombe à l'eau ! Lamjed Chétoui (titulaire d'un brevet d'aptitude à la formation de moniteurs et moniteur lui-même) :
Durcissons les mesures punitives et revoyons nos panneaux de signalisation ! Les auto-écoles et leurs moniteurs ne sauraient d'aucune manière être tenus pour responsables, ne serait-ce qu'en partie, du nombre élevé des accidents de la route. Nous n'obligeons personne à venir chez nous apprendre la conduite. Ce sont les citoyens qui sollicitent nos services et ce sont eux-mêmes qui décident du nombre de séances de formation à suivre. Dans la majorité des cas, ils attendent de nous, non un apprentissage acquis sur des bases solides, mais des astuces pour passer l'examen avec succès ; ils nous demandent de leur indiquer les itinéraires que choisissent habituellement les examinateurs. Une fois leur permis en poche, rares sont ceux qui se rappellent nos leçons. Nous n'avons de vrai pouvoir que sur 40 % de nos clients, les autres prétendent toujours être déjà initiés à la conduite et ne s'inscrivent à l'école que parce que les règlements les y contraignent. Je compare souvent notre travail à une grande comédie dont les rôles sont répartis entre le citoyen (le héros), le moniteur (une sorte de metteur en scène) et l'examinateur (qui juge de la valeur du spectacle). Pour parler plus sérieusement, disons qu'il est nécessaire, au niveau des services compétents du ministère des Transports, d'opérer une rigoureuse présélection avant d'accorder l'autorisation de passer l'examen de conduite. Inspirons nous de l'exemple koweitien : là-bas, ce sont les auto-écoles qui présentent les demandes à ces services et le nombre des candidatures retenues dépendra de la courbe de réussite de chaque école. Celle dont le sérieux et la compétence sont confirmées obtient le quota le plus élevé. Il y va donc de la réputation de l'établissement de formation qui ne cherchera pas en priorité le gain facile mais veillera à dispenser un enseignement de qualité. En Suisse, il existe un système de bulletin semblable à celui des collèges et lycées ; la demande du candidat est retenue ou rejetée en fonction des notes que celui-ci a obtenues au cours de son apprentissage. Ce système exige bien évidemment une honnêteté à toute épreuve de la part des moniteurs et j'ai personnellement constaté que cette qualité ne faisait pas défaut aux formateurs suisses. Ecoutez, si l'on veut vraiment réduire le nombre des accidents chez nous, il faut que les mesures punitives prises contre les contrevenants soient plus dissuasives et que leur application soit immédiate comme aux Etats-Unis où les tribunaux spécialisés ouvrent des services de permanence pour juger les conducteurs en faute à toute heure de la journée, même la nuit. On peut penser au retrait des cartes professionnelles lorsqu'il s'agit par exemple de chauffeurs de louage ou de taxi. Nous devons par ailleurs former des techniciens qualifiés pour superviser l'installation adéquate et correcte des panneaux de signalisation. Bien des accidents tragiques se sont produits parce que les bons panneaux sont au mauvais endroit ou bien n'existent pas sur les lieux du drame. Et que peut-on dire de ce traçage sur nos routes (signalisation horizontale) pour lequel on utilise des matières qui s'altèrent à la moindre intempérie ! Sur un tout autre plan, je souhaite que les autorités compétentes observent davantage de fermeté en étudiant les demandes d'équivalence présentées par les moniteurs qui ont obtenu leur C.A.P. à l'étranger et plus particulièrement dans des pays où le réseau routier est moins dense que celui d'un grand quartier de chez nous. La plupart des diplômes « importés » sont peu crédibles, voire suspects ! A long terme, il faut introduire l'enseignement de la prévention routière dans les programmes scolaires et pas seulement dans les activités de certains clubs. Venons-en à présent à la question de la vénalité de certains examinateurs : sachez que l'administration et notre syndicat veillent au grain et que les abus sont sévèrement sanctionnés. Dernièrement, on a suspendu six « ingénieurs » qui auraient touché des pots-de vin. Mais quelques cas rarissimes échappent au contrôle.