On note une abondance et une richesse des épistèmes actuels propres à l'innovation et à la création technologique découlant des nouvelles orientations de l'économie industrielle. Sur le plan industriel, innover c'est conduire efficacement un processus d'innovation techno-économique en mettant en place les conditions techniques, organisationnelles, financières et commerciales aboutissant au positionnement réussi du produit sur le marché. Mais l'innovation est de plus en plus un processus collectif et caractérisé par un degré élevé de complexité. Cette complexité résulte de la nécessité d'une maîtrise simultanée de différentes ressources informationnelles, humaines, techniques, financières qu'il est indispensable de combiner efficacement. Ces processus d'innovation se caractérisent, en outre, par une organisation systémique dans la mesure où les différents plans fonctionnels sont interdépendants, c'est-à-dire que la réussite de l'ensemble du processus d'innovation dépend de l'efficacité de chacun des différents plans fonctionnels (technologique, organisationnel, commercial). Enfin, les processus technologiques se caractérisent par leur incertitude et par les coûts de plus en plus élevés d'appropriation des ressources nécessaires à leur mise en œuvre, d'où le besoin ressenti par tout innovateur potentiel de recherche de partenaires fiables avec qui il partage risques et profits dans un environnement de plus en plus concurrentiel et de plus en plus interconnecté. Cet environnement se caractérise par une surinformation non seulement dans les domaines techniques et scientifiques situés en amont des processus d'innovation qui évoluent rapidement mais aussi dans les domaines situés en aval de ces mêmes processus tels que les connaissances relatives à l'évolution des marchés, au changement des goûts des consommateurs, des circuits commerciaux et dans le domaines des normes et réglementations. Cette masse énorme et sans cesse croissante de l'information, il faudrait la chercher et l'adopter pour pouvoir l'utiliser à bon escient dans des domaines spécifiques. Ces connaissances et ses informations sont dispersées parmi une multitude de détenteurs et de lieux tantôt proches mais souvent lointains dont la connaissance et l'accès ne sont pas nécessairement aisés ou gratuits. Aussi, pour tout innovateur potentiel pris individuellement ou tout autre sphère d'innovation, tout le problème se ramène donc à pouvoir s'approprier à moindre coût les ressources et réduire les coûts de leur transaction. Le savoir-faire techno-productif c'est-à-dire l'incorporation d'un savoir-faire dans une technique de production est de nature procédurale. Il diffère de ce fait de la nature cognitive du savoir. La création d'innovation est une démarche procédurale qui progresse par apprentissage et est spécifique à un contexte donné. Par apprentissage, on entend un ajustement mutuel et continuel des savoir-faire afin de mieux maîtriser la démarche d'innovation. Innovation et risque d'appropriation En matière d'innovation, au-delà de l'incertitude du marché, il y a le risque d'appropriation de nouvelles capacités techno-productives. Ni les mesures juridiques sur le secret professionnel, ni la logique d'internalisation des processus d'innovation par les grandes firmes ne sont efficaces dans ce cas. En règle générale, c'est l'avance technologique qui est la meilleure protection. Toute la question tourne autour du dilemme suivant : comment minimiser les risques d'appropriation tout en augmentant la synergie. La solution à cette problématique réside dans l'organisation contextuelle de l'innovation. L'organisation contextuelle de l'innovation Les modèles traditionnels de la planification aussi bien au niveau macro (la planification nationale) qu'au niveau micro (la planification stratégique des firmes) dissocient la phase et la sphère de l'élaboration du plan de son exécution entrainant des ruptures et des discontinuités. Alors que dans l'organisation contextuelle de l'innovation il n'y a pas de dissociation entre la sphère de la conception et celle de l'exécution. Elles ne font qu'un au sein du « réseau d'innovation ».
Le réseau d'innovation Il s'articule sur 4 dimensions : une dimension économique où Le réseau est perçu comme un mode d'organisation dépassant la dualité firme/marché. Une dimension historique où un système de relations inscrites dans la durée entre les différents acteurs participe aux processus d'innovation. Les relations sont basées sur les règles de confiance, de réciprocité et de priorité. Une dimension cognitive : étant donné l'aspect collectif du réseau, le savoir-faire collectif est supérieur à la somme des savoir-faire individuels. Une dimension normative où Le réseau se caractérise par l'existence de règles et de normes définissant à chacun des participants des devoirs et obligations. Ces différentes dimensions permettent donc de définir le réseau d'innovation comme un mode évolutif d'organisation, non structuré sur une forme hiérarchique ou sur des mécanismes de marché, qui permet le développement continu de processus d'apprentissage collectif. Le réseau constitue une réponse appropriée à la complexité de la démarche d'innovation.
Les différents champs des réseaux d'innovation Le réseau d'innovation fonctionne dans un contexte donné formé par l'environnement technique et de marché. Il est organisé et géré sur la base des relations de travail qui s'établissent entre les différents éléments du réseau ; enfin il établit des relations avec son milieu. Identifier l'environnement technique et de marché nous renseigne sur la nature de l'innovation. S'agit-il d'un produit nouveau impliquant la mise en œuvre de nouveaux procédés de fabrication et la recherche de nouveaux marchés ou bien utilise-t-on des techniques déjà élaborées et des marchés bien établis. Dans le premier cas, il s'agit d'un processus de création technologique, tandis que dans le deuxième cas il s'agit plutôt d'un processus d'adaptation. Les informations concernant le type d'innovation permet de mieux comprendre le mode de fonctionnement du réseau. Dans le premier cas, le réseau a une démarche créatrice alors que l'exploitation des technologies déjà existantes procède d'une logique de type combinatoire. Les rapports qui s'établissent entre les différents partenaires participant aux processus d'innovation technologique se nouent sur la base de la confiance et de la réciprocité. De ce fait, les risques de fuite ou d'appropriation des savoir-faire se trouvent éliminés. La gestion du réseau n'est pas de nature hiérarchique mais présente les caractéristiques suivantes : elle est partenariale. Le partage total du management de l'innovation est de nature à entraîner et à maintenir l'adhésion des partenaires. Elle apporte donc une solution au dilemme synergie/appropriation ; Elle exprime un mode de fonctionnement interactif qui engendre des capacités spécifiques à la fois dans le domaine de la création techno-productive que dans celui de l'organisation. C'est le savoir-faire organisationnel qui permet au réseau de maintenir le développement de l'innovation ; Elle possède une culture. L'informalité, notamment en matière de coopération, prévaut sur les aménagements formels. Nous venons de soulever un coin de voile à propos de la notion de réseau d'innovation. Il y a une autre instance organisationnelle qui favorise la création technologique, c'est la notion de « milieu innovateur », car les réseaux d'innovation ne se mettent en place indépendamment de leur contexte mais ils sont le produit d'un milieu.
Le milieu innovateur Il y a une lecture territorialisée de l'innovation. La composante territoriale joue un rôle déterminant dans l'émergence des processus de création technologique. Le milieu agit comme incubateur de l'innovation. L'organisation territoriale tient une place importante dans la structuration et l'évolution des systèmes de production et dans le processus de création technologique. Les technologies nouvelles sont souvent mises en œuvre par des entreprises créées dans (et par) les milieux où elles apparaissent. L'entreprise n'est pas un agent tombé du ciel qui choisirait librement un environnement, elle est secrétée par son environnement. Ce sont les milieux qui innovent. Nous reprenons la définition que donnent Maillat et Crevoisier « la notion de milieu fait référence à un tout cohérent dans lequel s'articulent un système territorial de productions, une culture technique constituée autour de savoirs et savoir-faire, des acteurs en interaction réciproque. La cohérence entre les différents acteurs réside dans une manière commune d'appréhender les situations, les problèmes et les opportunités. L'esprit d'entreprise, les pratiques organisationnelles, les comportements d'entreprise, la manière d'utiliser la technique, d'appréhender le marché sont à la fois parties intégrantes et parties constitutives du milieu. Le milieu se définit donc comme un processus de perception, de compréhension et d'actions continuelles. Cette dimension cognitive du milieu permet la formation d'un système de représentation qui constitue le support sur lequel se développent les processus d'apprentissage individuel et collectif ». Cette définition exhaustive met l'accent sur 2 aspects :La circulation et l'échange des savoir-faire et l'organisation du marché local du travail. En fait, ces deux aspects soulignent l'importance d'une allocation optimale des ressources humaines. Elle permet en outre de structurer le concept de milieu autour des trois composantes principales. Il s'agit d'Une composante territoriale. Il s'agit d'un espace géographique sans frontière précise mais présente une certaine unité se traduisant par des comportements identifiables et spécifiques ; Une composante organisationnelle. Ce milieu se construit et se développe à partir de réseaux territoriaux qui sont l'expression d'un système d'interdépendances entre les acteurs ; Une composante cognitive, se traduisant par une capacité d'apprentissage des acteurs et d'acquisition de connaissances et de savoir-faire aptes à modifier leur comportement en fonction des transformations de leur environnement, à créer de nouvelles combinaisons productives.
L'organisation du milieu Le milieu « est une instance organisationnelle de nature procédurale et quasi-informelle » (J.C. Perrin). Il symbolise l'appartenance à un même système de valeurs, la reconnaissance d'une certaine éthique de travail, l'acceptation d'un ensemble de règles, la référence à une identité collective. Le système de règles est destiné à gérer les transactions, et par la même constituer le support au développement et l'intensification des échanges entre acteurs appartenant au milieu. Au lieu de contrats explicites, les relations se fondent plutôt sur une sorte de convention collective. Les processus d'innovation techno-économique sont complexes et demandent au préalable qu'ils soient réunis des conditions scientifiques, techniques, financières, organisationnelles, sociales et culturelles difficiles à mettre en place instantanément. En d'autres termes, l'amélioration de la productivité globale des facteurs et l'innovation ne se décrètent pas, ni ne se mettent en place au hasard des circonstances mais exigent, au contraire pour qu'elles se développent, une convergence de facteurs très spécifiques accumulés sur une grande période, générateurs de savoir-faire collectifs transmis par la force des expériences acquises et résultant de longs processus d'apprentissage collectif. D'autre part, l'innovation ne doit pas être seulement industrielle ou technique, elle devrait avoir un sens plus large et englober les aspects organisationnel et décisionnel. La dynamique industrielle est étroitement liée à la création technologique et à l'innovation. Les approches modernes de l'organisation industrielle insistent sur les notions de réseaux et de milieux innovateurs. Le concept de réseau apporte une solution au dilemme synergie/appropriation. Quant au concept de milieu, il permet d'intégrer la dimension territoriale non seulement au niveau de la formation de certains modes d'organisation de la production de type réseau, mais également de point de vue de l'étude des processus d'innovation. En définitive, sans l'innovation techno-organisationnelle, point de progrès, point de salut pourrait-on presque dire pour l'industrie. Mohamed ABDENNADHER- Géographe-économiste