Les résultats des élections européennes qui ont eu lieu le 7 juin dernier dans les vingt-sept pays de l'Union européenne en vue d'élire les 736 membres du nouveau Parlement européen ont apporté leur lot de surprises et d'enseignements dont découlent diverses conséquences. Ces enseignements et conséquences ne sont pas exclusifs aux seuls pays de l'Union. Ils concernent également tous les pays qui partagent, de près ou de loin, des intérêts avec l'Union européenne et plus particulièrement ceux qui en sont des partenaires attitrés. C'est bien le cas de la Tunisie qui, clairvoyante, a été déjà en 1995 le premier pays du Sud de la Méditerranée à avoir signé un accord de partenariat avec l'Union, avant même la naissance du Processus de Barcelone. L'Union était alors uniquement l'Europe des quinze. Aujourd'hui, élargie, elle en compte vingt-sept et constitue sans aucun doute une force politique, économique et financière dans l'espace euro-méditerranéen. Ses deux plus importantes institutions, la Commission et le Parlement européens, en sont, l'une exécutive et l'autre législative, les instances les plus déterminantes de la politique européenne pour les cinq années à venir. Au niveau parlementaire, le Parlement tunisien a toujours entretenu de très bonnes relations avec les instances du Parlement européen. Compte non tenu de certains députés à la recherche de prétextes médiatiques, la collaboration entre les deux chambres a été mutuellement profitable: les députés tunisiens ont largement contribué à la concrétisation de la dimension parlementaire du processus de Barcelone et ont été parmi les fondateurs du forum parlementaire euro-méditeranéen qui a donné naissance à l'assemblée parlementaire présidée pendant deux années par M. Foued M'bazaa, président de la Chambre des Députés. Grâce à cette collaboration tant au niveau de la commission qu'au niveau parlementaire, la Tunisie a su saisir les opportunités offertes par le traité de partenariat. Citons à titre d'exemple les programmes MEDA I et MEDA II: notre pays, grâce au bon choix de ses projets et à l'efficacité et la célérité de son administration en a été le premier bénéficiaire. Pour toutes ces considérations, il nous est tout à fait indiqué de suivre de près l'évolution du Parlement européen aussi bien structurelle que politique. Les résultats des dernières élections auront indéniablement des conséquences sur l'orientation politique et économique de ce Parlement sachant qu'il exerce un réel pouvoir législatif sur les décisions de la Commission.
Majorités agissantes Tout d'abord, force est de constater que la physionomie du nouveau parlement européen est l'œuvre d'une seule majorité agissante donc militante: le taux d'abstention en Europe a été le plus fort des élections précédentes (57% environ). L'UMP en France, par exemple, classée en tête, crie victoire avec à peine 28% et une abstention de 60%, alors que réellement elle ne l'a été que grâce uniquement à 11.2% des électeurs inscrits! L'enseignement majeur de ces élections est que la majorité des partis politiques en Europe sont des partis de minorités agissantes qui agissent au nom des majorités silencieuses.
Nouvelle physionomie du prochain Parlement européen Compte non tenu de cette abstention qui inquiète, les résultats de ces dernières élections moduleront la nouvelle physionomie du prochain Parlement européen aussi bien au niveau de l'importance intrinsèque des groupes politiques qu'au niveau des alliances qui redessineront les rapports de force au sein du Parlement. Le centre droit, en l'occurrence le Parti Populaire Européen (PPE) est le plus grand vainqueur de ce scrutin (265 sièges soit 36% des 736 députés). Il consolide ainsi sa place en tant que premier groupe politique. En termes de Partis européens au pouvoir, la Droite arrive en tête des élections dans dix pays sur onze. Seule la Slovaquie a fait l'exception . Huit autres pays gouvernés par la gauche ont également voté majoritairement pour la Droite. C'est dire que l'influence du PPE dépasse les frontières du Parlement. Le mouvement social démocrate européen accuse un échec cuisant: Le Parti socialiste européen (PSE) à l'image du Parti socialiste français, accuse lui aussi une perte très lourde en passant de 217 députés à seulement 162 en conservant quand même sa deuxième place au Parlement. La vedette médiatique de ces élections fut sans aucun doute le soixante huitard Daniel Cohn Bendit, initiateur du mouvement Europe-Ecologie. Gonflé à bloc par le succès remporté par son groupe et en France par le K.O infligé à François Bayrou, Daniel Cohn Bendit avec ses 61 députés verts crie victoire et conduira le quatrième groupe politique de l'assemblée après l'alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE) qui totalisent quatre-vingts députés et occupe la troisième place. Le reste des sièges sera occupé par des groupes minoritaires (UEN-GUE-IND/DEM) et enfin les noms inscrits qui ne font, théoriquement partie d'aucun groupe.
La valse des alliances Le panorama politique, à en croire les déclarations des uns et des autres, sera inévitablement recomposé: l'alliance classique entre le centre droit et les socialistes serait-elle reconduite? Elle a eu par le passé le mérite de permettre à ces deux alliés de "gouverner" au Parlement européen lors de la dernière session et d'en partager la présidence. Elle a certainement encouragé la formation en Allemagne de la grande coalition entre le PPE, le PSE et les Libéraux. La montée des Eurosceptiques et de l'extrême droite justifie peut-être cette précaution. En plus, les conservateurs britanniques, renforcés par la déconfiture dans le camp des travaillistes et encouragés par leurs collègues tchèques et polonais ont d'ores et déjà décidé de se retirer du PPE et créer leur propre Groupe au Parlement. De son côté Daniel Cohn Bendit courtise les socialistes et d'autres formations de gauche pour former une autre grande coalition qui s'opposerait parmi d'autres à la réélection de Manuel Barroso à la tête de la Commission. Mais comment pourrait-il parvenir à former cette alliance alors que dix-huit des vingt sept pays de l'Union (dont huit sont gouvernés par les forces de gauche) ont voté à droite et que dix pays sont gouvernés par des gouvernements de droite. Mas chez Cohn Bendit le rêve est toujours permis, même si mathématiquement il lui faut l'adhésion des socialistes et de la plupart des autres groupes, les non-inscrits compris, pour réaliser son rêve. Cela étant dit, force est de constater que, pendant les dernières législatures, le Parlement a toujours fonctionné structurellement par alliances et compromis. Et ce ne sont pas les derniers résultats qui vont changer les engrenages de cette machine européenne, sauf évidemment, dans le cas où certains groupes, comme le PPE, subiraient des implosions.
Enjeux politiques et dossiers brûlants Le Parlement européen aura à affronter, pendant la prochaine législature, des dossiers brûlants et les pays partenaires de l'Europe sont en droit d'en connaître l'orientation. Quelle sera la politique de l'Europe pour sortir de la crise économique? Renoncera-t-elle au capitalisme déchaîné ou va-t-elle le socialiser en moralisant son système financier? Va-t-elle continuer à lutter contre la délocalisation aux dépens de ses partenaires. Va-t-elle fermer davantage ses frontières à la libre circulation des hommes et resserrer l'étau sur les immigrants? Quelle serait la position du nouveau Parlement en matière de coopération euro-méditerranéenne? Va-t-elle favoriser davantage son élargissement à l'Est aux dépens de ses partenaires du Sud de la Méditerranée? Que ferait-elle de la candidature de la Turquie? L'autre dossier brûlant est celui bien entendu du traité de Lisbonne: Après avoir amadoué l'Irlande pour la faire basculer dans le camp des "oui", l'Europe ferait face, dans le cas de l'effondrement des travaillistes de Gordon Brown et le retour des conservateurs à un "non" de la Grande Bretagne: Un cauchemar qui pourrait se réaliser. Tant de questions dont les réponses dépendront des alliances politiques au sein du prochain Parlement et de la configuration de la prochaine Commission. T.H