* L'interview est devenue un investissement déguisé ! Il y a seulement quelques jours, nous étions au Colisée pour couvrir la cérémonie d'ouverture des Journées théâtrales de Carthage. Nous suivions avec une attention particulière les mouvements fébriles de deux artistes de télévision et de théâtre plus ou moins connues. Elles n'arrêtaient pas de passer et de repasser devant les caméras des chaînes publiques et privées présentes sur les lieux et finirent par « racoler » une journaliste qui les remarqua et leur posa quelques questions du genre que vous pouvez imaginer. A notre sortie de la salle, c'est-à-dire une heure et demie plus tard, elles reprirent leur manège et firent tomber dans leurs filets le micro d'une autre chaîne. A la vérité, elles n'étaient pas les seules à courir les interviews télévisées. Avant, pendant et après la cérémonie, bien d'autres comédiens, cadres culturels et simples spectateurs en faisaient autant. Ils nous rappelèrent tous des scènes dont nous avons été témoins cet été pendant le festival de Carthage. Pour les journalistes de la télévision, il suffisait de se pointer à l'entrée (à la sortie) de l'amphithéâtre pour « attraper » du gibier. Mais le plus souvent, c'est le même gibier qui rôde autour de la caméra dans l'espoir d'être attrapé. Des femmes surtout faisaient le va-et-vient devant les caméras et finissaient par s'imposer à l'une d'elles ou à plusieurs à la fois. Le plus drôle dans la manie, c'est qu'au bout de quelques jours, les journalistes de la presse écrite s'y mirent à leur tour. On les voyait tous les soirs, avant ou après les spectacles, faire part de leurs impressions aux confrères et consœurs de la télé. Du coup, certains visages masculins et féminins devinrent des habitués, non, d'incontournables clients des émissions consacrées à la manifestation estivale : ils étaient 6 ou 7 journalistes qui ne suivaient qu'une partie des spectacles donnés sur scène puis quittaient leurs places en direction des points stratégiques où les attendaient les micros et les projecteurs. Car ceux-là mêmes qui étaient appelés à recueillir les avis des autres ne devaient à aucun prix manquer leurs propres séquences-interviews quasi quotidiennes.
L'interview, coûte que coûte ! Les télévisions ont beau tronquer leurs déclarations pour n'en retenir que quelques bribes parfois incohérentes, les speakerines ont beau les embarrasser avec des questions trop subtiles ou trop maladroites, le sujet de l'interview a beau dépasser leurs compétences, ces mordus de l'entretien télévisé n'en ont cure. L'important est d'apparaître sur les écrans et de préférence le plus de fois possible pour promouvoir son image, ses points de vue, une de ses œuvres qui n'a pas trouvé d'acquéreur. Ainsi font par exemple certains chanteurs, juste avant de sortir un nouvel album ou à la veille d'un gala dont ils sont les vedettes. Ils entament à cette occasion une chasse obstinée aux entretiens télévisés et courent après tous les animateurs et animatrices des émissions de variétés à grande audience. Quelquefois, cela leur vaut bien des servilités et peut-être aussi des sacrifices plus substantiels. Qu'à cela ne tienne ! La télévision les aidera à les faire fructifier et à les compenser autrement.
Rentabiliser ses déclarations ! Les entretiens journalistiques les intéressent certes beaucoup moins. L'autre jour, une comédienne qui venait de faire une déclaration à la télé voulut bien nous accorder une interview sur le même sujet, mais nous pria à la fin de ne pas mentionner son nom !! Il n'empêche qu'à défaut d'exploiter le petit écran et en attendant de devenir stars dans leurs domaines respectifs, certains chasseurs de gloire se contentent bien d'un article de journal dithyrambique sur leur compte et richement illustré à l'aide de leurs plus belles photos. Ils y parleront de projets qui voient rarement le jour, font de la réclame à des livres illisibles, amplifient le succès d'une tournée, sollicitent le soutien d'une autorité quelconque, flattent tel ou tel bienfaiteur, et toujours cherchent à tirer le meilleur parti de l'entretien qu'ils ont accordé. Aujourd'hui, même le commun des gens tente par tous les moyens de « rentabiliser » les propos qu'il confie à un journaliste. Une fois, une gérante de laverie tint à ce que nous mentionnions le nom et l'emplacement de sa boutique. Les habitants d'une « oukala » nous firent un drôle de chantage : « nous ne ferons pas de déclarations si votre interview ne contribuera pas à améliorer notre condition ». Après nous avoir livré quelques informations qui ne lui coûtaient rien, un employé de banque sollicita notre aide pour trouver du travail à son épouse. C'est que l'interview (télévisée, radiodiffusée ou journalistique) devient une sorte d'investissement indirect qui peut dans certains cas, rapporter gros à celui ou celle qui la donne. Pour le journaliste, elle peut en constituer un, surtout s'il s'agit d'un scoop ou si l'interviewé est une célébrité d'ordinaire inaccessible. Là, l'article vaut mille diplômes dans son CV et peut du coup lui rapporter un surplus de notoriété et pas mal de primes !!