Depuis sa prise de fonction à la tête de la Banque Mondiale (BM), M. Paul Wolfowitz, ancien secrétaire-adjoint à la Défense dans l'administration Bush et l'un des architecte de la guerre en Irak, a déclaré que sa mission numéro un était la lutte contre la corruption. Corruption à l'intérieur de l'institution, et corruption autour des aides ou prêts distribués par celle-ci dans les pays destinataires. En d'autres termes, il veut s'assurer que l'argent prêté par la BM arrive effectivement aux gens qui en ont besoin et n'est pas détourné par des acteurs locaux publics ou privés à des fins d'enrichissement personnel. Pour réaliser cette noble mission, M. Wolfowitz (Wolfie pour les intimes) a présenté, début 2006, un «plan pour une campagne contre la corruption». Dans sa première version, qui prévoyait de contourner les gouvernements nationaux pour s'assurer que l'aide arrive bien à ceux qui en ont besoin, le plan a été rejeté par les pays membres, ainsi que par les administrateurs de l'institution. Le chairman a donc dû en présenter une seconde version, revue et corrigée, qui a été enfin acceptée par le Conseil d'administration, le 20 mars dernier. Pour justifier les concessions faites entre-temps par rapport au projet initial, M. Wolfowitz a déclaré: «Nous devons nous impliquer. Mais, ce faisant, nous apportons de l'argent et nous devons aussi travailler avec les gouvernements pour améliorer la gestion des affaires publiques». Et d'ajouter, un brin réaliste: «Nous ne pouvons pas rester sur la touche pendant trois ou cinq ans en attendant que la situation en matière de gestion des affaires publiques devienne parfaite. Nous devons produire des résultats et d'une manière qui contrôle ce qui est fait de l'argent dépensé». Est-ce pour donner l'«exemple» aux partenaires de la BM - qui sont, comme on le sait, les pays en développement -, en matière de transparence et de bonne gouvernance, que M. Wolfowitz a commencé par... placer ses copains (et ses «coquins») dans des postes clés au sein de l'organisme dont il a la charge ? La question s'impose d'autant que l'Américain a nommé Kevin Kellem, ancien directeur de la communication et porte-parole du vice-président américain Dick Cheney, à un poste - nouvellement créé pour lui - de directeur de la stratégie de la communication, en plus de sa position de conseiller du président, mettant ainsi sur la touche le vice-président de la BM, chargé de la communication, les affaires externes et des relations avec les Nations Unies. M. Wolfowitz a «imposé une nomination politique au niveau de la direction, chose plutôt rare, en particulier depuis que les postes de direction sont moins élevés dans la hiérarchie administrative et sont traditionnellement pourvus à la suite d'un processus de sélection transparent et basé sur le mérite, non par choix politique», a expliqué Mohamed Hakki, un ancien membre du personnel de la BM, dans un article intitulé «Copinage et corruption: Wolfowitz à la BM», publié initialement dans le quotidien égyptien ''Al-Ahram'' et dont une traduction française a été mise en ligne, le 3 mars 2006, sur le site ''http://www.counterpunch.org''. L'Egyptien cite un autre exemple de passe-droit présidentiel, la nomination de Suzanne Rich Folsom en tant que nouvelle directrice de «l'intégrité institutionnelle», c'est-à-dire responsable en chef du département anticorruption, «en dehors de tout processus de compétition transparent et ouvert». Celle-ci, qui est l'épouse d'un puissant dirigeant républicain et elle-même puissante lobbyiste républicaine, porte en outre le titre de conseillère du président. Ce scandaleux de coup de force du président a poussé Alison Cave, la très respectée présidente de l'Association du personnel de la BM, à adresser à tout le personnel de l'institution une lettre ouverte de protestation. Une première - et un grave précédent - dans l'histoire de la banque. Troisième (mauvais) exemple: la nomination de Karl Jackson au poste de conseiller du président. Ce dernier n'est certes pas un intrus dans la maison puisqu'il a déjà géré le portefeuille d'activités de la Société financière internationale (SFI), la branche de soutien au secteur privé de la BM. Il n'en demeure pas un ami de longue date de Wolfowitz qu'il a côtoyé à l'université Johns Hopkins, mais aussi au gouvernement. Et cela a sans doute beaucoup compté aussi dans sa nomination. «L'exemple sans doute le plus choquant du copinage de Wolfowitz, et de son absence totale de considération pour les principes de l'institution qu'il a été chargé de diriger, sans parler des manifestations évidentes de conflits d'intérêt, implique le rôle toujours plus important donné à sa conseillère en chef, Robin Cleveland», note Mohamed Hakki. Ancienne membre de l'administration Bush, Mme Cleveland avait quitté son poste dans des circonstances moyennement mouvementées. Elle avait en effet essayé d'utiliser ses relations pour faire entrer un membre de sa famille dans une grande entreprise d'armement, tandis qu'elle négociait avec cette même entreprise un contrat pour le compte du gouvernement des Etats-Unis. Non content de nommer des copain(e)s, des obligé(e)s voire des mercenaires politiques à des postes qui devraient être occupés par des professionnels hautement qualifiés, suscitant ainsi une vive inquiétude chez les vice-présidents, directeurs et employés de l'institution, ainsi qu'un exode massif de talents de haut niveau, le champion anti-corruption de la BM a fait encore mieux (ou pis !) en faisant bénéficier sa campagne Shaha Ali Riza, qui était à la BM avant qu'il n'y arrive comme président, d'une super-promotion. C'est, en tout cas, ce qu'a rapporté récemment le ''Washington Post'', cité par Corine Lennes, correspondante du quotidien français ''Le Monde'' à Washington sur son blog ''http://clesnes.blog.lemonde.fr''. Qui est Shaha Ali Riza ? Née Tripoli, d'un père libyen et d'une mère syro-saoudienne, Shaha (féminin arabe de Shah) a grandi en Tunisie, en Arabie saoudite et au Royaume Uni, avant de partir aux Etats-Unis après son mariage avec Mr Bulent Ali Riza (d'où son nom actuel) au début des années 1980. Diplômée en relations internationales, Shaha a étudié à la London School of Economics, à l'University of Oxford et au St Antony's College. Spécialiste du Moyen-Orient, on lui doit des études sur plusieurs pays de la région. Au début de sa carrière, Shaha a coordonné des programmes pour le Moyen-Orient au sein de la National Endowment for Democracy. Après avoir intégré la BM, en 1997, elle a travaillé au sein du Groupe pour le développement social et économique de la région MENA (Middle East and North Africa). Elle était en charge du dossier des droits des femmes arabes. Sa liaison avec Wolfowitz date de l'époque où ce dernier était encore secrétaire d'Etat adjoint à la Défense. Shaha Ali Riza travaille actuellement pour Liz Cheney, la fille du vice-président américain, Dick Cheney, au sein du Département d'Etat. A en croire le ''Washington Post'', elle travaille au Département d'Etat, tout en étant toujours payée par... la BM. Mieux (ou pis !): en un an, elle a obtenu une augmentation de 13 500 dollars. Son salaire est maintenant de 193 590 dollars (annuels). Soit 7 000 dollars de plus que sa «patronne», la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice. Toujours selon le ''Washington Post'', les employés de la BM sont ulcérés par ces méthodes, bien qu'ils soient eux-mêmes "grossly overpaid" (grassement surpayés). A en croire un autre média américain, le magazine ''Vanity Fair'' de mars 2007, Shaha loue également ses services, parallèlement à son activité principale, à la Science Applications International Corporation, qui a un contrat avec le Pentagone, le ministère américain de la Défense. De là à parler de conflit d'intérêts... Tout ça pour dire qu'en matière de clientélisme, de concussion et de corruption, M. Wolfowitz en connaît... un bon petit bout. Et qu'on pourrait compter sur lui pour nous assainir tout ça...