2009 ne reviendra plus. Le temps est irrévocable, il est irréversible. Héraclite avait raison de le dire : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Ce qui passe ne revient point et ce qui ne revient point est passé. On a beau lui montrer crocs, crochets et griffes, Chrono nous tourne royalement le dos, nous laissant sur les bras ses enfants adultérins qui sont les souvenirs et la nostalgie. Le dieu du temps, de tous les temps, s'en va et ne revient jamais sur les lieux où il fut un jour. Il n'envoie ni « texto », ni « sms », ni « mail » et à l'image de tous les dieux, il est parfait, hautain, théâtral, et ne rate aucune de ses sorties par le côté cour ou le côté jardin. Aussi féroce qu'il soit avec nous, nous pleurant, souvent sur notre trente -et -un et en silence, tous les 31 décembre mais pas seulement, ses départs sans lueur de retour. Le temps est forcément un adversaire effrayant puisqu'il s'oppose à notre désir d'immortalité et nous fige dans notre angoisse de la mort. Il nous fait sentir à quel point il est cyclique et triche avec nos états d'âmes en nous faisant croire qu'il est linéaire. En plus d'être farouche, il est vicieux ! Mais malgré tous ses torts le temps fut et demeure l'un des monstres sacrés de la pensée humaine occupant une place majeure dans la philosophie depuis l'Antiquité à ce jour. Nous nous préoccupons également de la santé de ses arrière-petits-enfants qui sont le passé et le futur, d'ailleurs à ce propos Platon disait : « Car tout cela, ce sont des divisions du Temps : le passé et le futur sont des espèces engendrées du Temps, et lorsque nous les appliquons hors de propos à la substance éternelle, c'est que nous en ignorons la nature. Car nous disons de cette substance qu'elle était, qu'elle est et qu'elle sera. Or, en vérité, l'expression est ne s'applique qu'à la substance éternelle. Au contraire, était, sera sont des termes qu'il convient de réserver à ce qui naît et progresse dans le Temps. Car ce ne sont que des changements. Mais ce qui est toujours immuable et inchangé, cela ne devient ni plus vieux, ni plus jeune, avec le temps, et jamais cela ne fut, ni ne devient actuellement, ni ne sera dans le futur. » Face à cet éternel, contraignant, qui fuit, se dérobe et nous échappe aussi bien par la pensée que par le concret, certains ont choisi de méditer le temps loin des sentiers de la méditation. Penser le temps empêche de l'expérimenter, de le vivre. Le penseur Pascal qui a composé le traité des sons à 11 ans et qui inventa la machine arithmétique à calculer à 19 ans, nous ouvre les portes d'une réflexion intuitive sur le temps. C'est à dire qu'il est inutile, selon Blaise Pascal et ses adeptes, de réfléchir le temps puisque celui-ci est lié au sentiment d'existence. Mieux vaut dès le prendre à bras le corps. L'auteur des Pensées, recueil de fragments et d'aphorismes, rassemblés et publiés par ses amis, souligne l'importance de « l'esprit de finesse », qui seul est « capable d'embrasser d'un seul regard des phénomènes complexes et délicats ». La vie humaine est intégrée à un mouvement, ce mouvement est ponctué par l'Angélus de la répétition. Nous sommes dans cette vague qui n'en est peut-être pas une, et nous savons peu de chose sur notre vie avant la naissance et sur celle de l'après vie. Deux drôles d'accolades qui embrassent notre existence et nous donnent, comme une longue parenthèse dans un discours, le tournis. Et si notre vie était, est, dans cet état d'égarement, d'étourdissement. Kundera ne disait –il pas que « le vertige c'est être ivre de soi-même ». Ivre de ce mystère qui nous entoure et auquel parfois on refuse de réfléchir, de peur de basculer dans le chaos. 2009 ne reviendra pas, ne reviendra plus, le temps qui s'en va prend à chaque fois une partie de nous-mêmes, pas toujours la plus mauvaise, et nous laisse un traineau d'incertitudes que même le père Noël ne veut pas conduire pour nous ! Alors comme Sisyphe, qui était peut-être heureux, dans sa tâche on se dit au prochain passage, à la prochaine année qui elle non plus ne reviendra pas !