La lecture est aujourd'hui au cœur d'un lourd débat. L'identité du lecteur, comme tout le reste d'ailleurs, vit une crise existentielle, même si cette phase de rupture n'est pas réellement vécue par le lecteur lui-même, celui-ci continue à aimer, à chérir les livres, à se situer au-delà de ces contextes, mais par ceux qui, soit travaillent dans le secteur du livre, soit réfléchissent et analysent son évolution. A une époque où tout se fait sur la toile, les rencontres, les courses et le reste, à une époque où on nous demande d'être rapides et performants, prendre le temps de lire, de plonger jusqu'à la « non- émersion » dans une histoire, quitter sa sphère étroite pour des horizons illimités, devient un luxe divin, comme certains élixirs rares et interdits. A une époque où on nous convie à la lire en diagonale, comme si un livre était un tissu que l'on peut manipuler à sa guise, ou un champ que l'on parcourt sans orientation, à cette époque où la rapidité s'invite, comme un désagréable convive, sur les pages, il devient difficile de s'adonner à des lectures qui prennent le rythme de notre respiration. Cela me fait penser à cette phrase du talentueux Woody Allen qui ironisait en disant qu'il avait pris un cours de lecture rapide, suite auquel il a pu lire « Guerre et paix » en vingt minutes. Ca parle de Russie, précise t-il ! (ndlr : Guerre et paix est une œuvre de Tolstoï qu'il écrivit entre 1864 et 1869, dont l'action se déroule en Russie entre les années 1805 et 1815. cette œuvre marqua un tournant dans l'histoire de la littérature, elle allie « l'acuité de l'observation au génie créateur » de l'écrivain. Tolstoï écrivait des livres pour le peuple, il est aussi l'auteur de : Anna Karenine) La lecture en diagonale ou rapide est impossible ou alors dégradante, car une lecture est avant tout une initiation au voyage, une porte qui s'ouvre sur la vie spirituelle, elle nous donne des possibilités de vies et des crédits de rêve sans créanciers et sans échelonnements. Marcel Proust ne disait-il pas que : « la lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. » Cela veut bien dire qu'après la lecture d'un livre, le voyage continue, les interrogations s'élargissent, le chemin que l'on a pris avec tel auteur embrasse d'autres sentiers plus hasardeux où la rencontre a un sens digne de ce nom, sans point fr, ni point com. Nous sommes loin, bien loin du temps des petites liseuses, ces capes ou vestes de lainage léger que l'on porte chez soi au lit pour lire, loin des rituels du livre de chevet qui accompagne notre descente douillette dans les bras de Morphée, loin des couvre-livres interchangeables, en cuir généralement et que l'on garde durant sa vie comme une histoire de famille que les générations se transmettent fièrement.
Si les liseurs (terme qui remonte à 1200 désignant les lecteurs) et les liseuses (mot évoquant les lectrices, le coupe-papier et la petite cape pour lire) ne sont plus les mêmes, comme un peu pris dans les fluctuations de la modernité, la lecture demeure comme le dit si bien Daniel Pennac : « un acte de résistance », cet auteur ajoute qu' « une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même ».