Par Roland et Alix Martin LES CHARMES DU PRINTEMPS Les beaux jours ensoleillés donnent la bougeotte à tout un chacun. Il faut aller dans la campagne pour profiter de ces semaines incomparables où le renouveau étend sur tout le pays un merveilleux patchwork, à dominante verte, lavé, parsemé, piqueté de toutes les teintes de jaune, de bleu, de mauve, de rose et de blanc. Aucune coquette n'oserait, même par provocation, porter un ensemble qui marierait le jaune citron au vert cru rehaussé de bleu roi et de rose indien. Pourtant nulle faute de goût dans la nature : le spectacle est splendide. La nature enchante tous nos sens : la tiédeur de l'air « sublime » les couleurs et les parfums.
LES COULEURS PARFUMEES Les clochettes jaune citron des oxalis - les trèfles à trois feuilles très généralement - dont les tiges ont un léger goût acidulé se recroquevillent, à l'ombre, au pied des buissons, les camomilles (babounge) au parfum entêtant ont couvert les près de leur corolles blanches à cœur jaune qui les font ressembler à des marguerites (Chrysanthemum : Merkbèt). Ces dernières sont « marguerites », pour le commun des mortels que nous sommes, jaune d'or, blanches ou à peine teintées de mauve. Elles parent le pied des grandes férules (férula communis : khaymiyet) aux ombelles dorées, parfumées et mellifères autour desquelles bourdonnent un peuple d'insectes : mouches, moucherons, abeilles, guêpes, coléoptères divers. Les petits « soucis » orangés (calendula arvensis : Merkbèt) ont marqué la fin de l'hiver et ont été remplacés par les fines étoiles blanches des asphodèles (asphodelus albus : zinbakiyet) à « l'arôme » surprenant. Les cornets mono, bi ou tricolores des liserons (convolvolus : Mahmoudiyet) s'épanouissent partout. Les cornets jaune et violet des fleurs du grand mélinet (cerinthe major) sont âprement disputés : leur nectar est très recherché ! Les vipérines (Echium) - quel nom curieux pour de jolies fleurettes ! - dressent leurs clochettes blanc crème, rose chair ou bleu violet. Certaines sont d'abord bleues puis pourpres. Puis, arbrisseaux et arbustes se réveillent. Le calicotome (Karniyet), dit « soyeux » alors qu'il est abominablement hérissé d'épines, tout le monde connaît le « guendoul », rivalise d'éclat avec les cytises (Cytisus : Karniyet) et les genets (Genista scorpius) . Leurs bouquets dorés vont illuminer et parfumer les garrigues durant des semaines. Les étoiles bleu roi des bourraches (Borago : Hamhamiyet) se mêlent aux fleurettes rose vif des silènes et des œillets sauvages (dianthus monspessulanus : Kronfel) au parfum suave. Combien pourrions-nous en citer ? Bien sûr que vous les connaissez, sans savoir leur nom : les glaïeuls sauvages (Gladiolus : Sawsaniyet), les narcisses (Narcissus : Narjess) qui embaument, les iris bleu ou dorés, les tulipes (Tulipa) aux fleurs fièrement érigées, isolées en bout de tige. Les hampes renflées et violacées des lavandes stechades (Lavandula stoechas : Chafwiyet). Et tous les « chardons » ! On les regardera seulement : les boules bleues hérissées de « l'oursin bleu » (Echinops ritro : Merkbèt), évidemment, et celles verdâtres ou blanchâtres mais très piquantes de « l'oursin épineux ». Les « capitules » rouge violacé du « Chardon Marie » (Silybum marianum : Merkbèt), d'autres dorées, et d'autres pourpres aux épines redoutables. Les sauges (Salvia : Chafwiyet) recherchées par les abeilles s'épanouissent discrètement souvent sur des sols rocheux. Ne cueillez pas les fleurs des champs : elles se fanent très vite. Et, protégées de la dent des moutons et des chèvres - véritables débroussailleurs des garrigues tunisiennes ! - par les buissons épineux ou touffus des lentisques Pistacia lentiscus : Batmiyet) et des cistes (Cistus : Ladhniyet) aux fleurs mauve ou crème, s'épanouissent de superbes orchidées sauvages. Dès la fin janvier, les premiers ophrys ; l'ophrys tenthredinifera - meit ou hay ! - ont proposé leur label bariolé aux insectes survivants. Puis les jaunes, plus ou moins maculés de bleu, des lutéa, des fuscas et des hybrides sub-fuscas ont succédé au rose des orchis collina qu'on croyait disparus de Tunisie. Dans les collines d'El Haouaria, le superbe orchis longicornu rose vif croît entre les rochers. Les Ophrys Numida et Jugurtha nous rappellent l'histoire du pays et un peu partout s'épanouit l'orchis papilonacea. La sous-espèce « Grandiflora » ouvre ses pétales odorants, rose indien strié, aux bords fortement ondulés. Cet orchis papillon semble prêt, à battre des ailes pour prendre son essor.
LES AILES COLOREES Cà et là d'ailleurs, des « fleurs » bariolées volettent puis « se posent » quelques instants : avec le printemps, les papillons ont réapparu. Les puristes nous diront qu'il s'agit de Lépidoptères : du grec __π__ : écaille et π_____ : aile. Nous dirons que la taxinomie des insectes semble être en pleine évolution, que nous connaissons, en accord avec le savant Linné : les papillons, les sphinx et les phalènes et que le lépidoptère fossile le plus ancien, connu, est l'Archaeolepis mane du jurassique anglais, daté de 190 millions d'années environ. Il est vraisemblable que la différenciation du groupe des lépidoptères possédant, un organe très spécialisé comme la trompe, s'est accomplie avant la fin de l'ère tertiaire en même temps que le développement des plantes à fleurs. Fleurs et papillons sont nés en même temps ! Bien sûr, il est des « choses » à ne pas dire. Les ménagères n'apprécient pas du tout les petits papillons crème : les mites ! Les agriculteurs détestent les pyrales, les tordeuses et les teignes qui ravagent leurs récoltes. Quant aux chenilles processionnaires, en plus d'avoir des « poils » excessivement allergènes ! - elles présentent, aux yeux des forestiers, le défaut majeur de s'attaquer aux pins d'Alep en particulier. La chenille est le stade larvaire des lépidoptères qui pondent. Puis arrivée à son plein développement, elle s'enveloppe dans un cocon pour se transformer en chrysalide qui va devenir un insecte adulte. Tout le monde connaît le cocon du ver à soie : la chenille du Bombyx Mori qui se gave de feuilles de mûrier. 99 % des espèces de lépidoptères sont phytophages : se nourrissent de plantes. Les adultes préfèrent, pour la plupart, le nectar des fleurs aspiré à l'aide de la trompe. Leur présence - et celle d'autres insectes - sur la fleur assure, en échange, sa pollinisation et sa fructification. Fleurs et insectes sont liés « à la vie, à la mort » ! Ne capturez pas les papillons : ils meurent aussitôt et, avec des regrets, ils ne vous restera qu'un peu de poussière colorée sur les doigts. Les couleurs et les dessins des ailes des papillons peuvent les protéger contre leurs prédateurs. Certaines taches ressemblent à des yeux effrayants, par exemple celles du Grand Paon de Nuit ou du Paon de Jour. Parfois les ailes servent de camouflage et se confondent avec l'environnement. D'autres papillons se parent de couleurs très vives et très visibles qui « avertissent » les prédateurs. Alors que les papillons de jour bénéficient de la « sympathie » - presque - générale, ceux de nuit engendrent inquiétude, voire répulsion, surtout quant ils viennent frôler le visage de paisibles noctambules dînant dans un jardin. Les couleurs chatoyantes et les longues antennes fines, terminées en massue, des premiers sont, pour le moins, différentes, des colorations généralement ternes et des antennes plumeuses ou en forme de double peigne des seconds. Le papillon de jour que l'on voit le plus souvent est le Vulcain (Vanessa atalanta) de la famille des « vanesses ». Ce grand papillon est d'un noir profond tâché de rouge et de blanc. Alors que beaucoup de papillons meurent avant l'hiver, le Vulcain est un migrateur qui survit à l'hiver. Sa chenille vit sur les orties. Les principales vanesses sont, outre le Vulcain, la Belle Dame, la Grande et la Petite Tortue aux ailes rouille bordées de tâches noires et le Paon de Jour. Ses ailes sont ornées de quatre ocelles, des « yeux » à la « pupille » brune entourée de blanc crème cerné de noir et de bleu : une merveille ! Parmi les premiers à voler, on voit les petits « citrons » à la robe jaune d'or parfois tâchée d'orange à l'angle extérieur : le Gonepteryx rhamni et le Gonepteryx cleopatra qui sont quelquefois poursuivis et chassés par l'Argus Bleu (polyommatus icarus) dont les petites ailes, de 12 à 18 millimètres, sont bleu ciel dessus et marron clair terne quand elles sont fermées. Sa petite chenille verte fait le désespoir des jardiniers en se nourrissant de légumes. L'un des plus beau nous semble être le « Machaon » (Papilio machaon) aux grandes ailes dorées tâchées et bordées de noir terminées par des « pédoncules » et des macules bleues. Le plus connu et le plus détesté serait la Piéride du chou : un papillon blanc portant une grosse tâche noire qui s'attaque aux choux et aux autres crucifères cultivées. Parmi les papillons de nuit, outre le Grand Paon de Nuit, aux ailes brun foncé ornées de quatre ocelles, le Sphinx « tête de mort » est le plus spectaculaire par sa grande taille, 60 millimètres d'envergure et par une marque rappelant la forme d'une tête de mort sur la partie dorsale du thorax couvert de poils qui deviennent noirs ou jaunes sur l'abdomen. Sa chenille se nourrit principalement de feuilles de pommes de terre et de tomates alors que l'adulte vole le miel dans les ruches. Comme beaucoup de chenilles des 25 espèces de sphinx, celle du « Tête de mort » s'enterre dans une galerie tapissée de soie pour se transformer en chrysalide. C'est le seul papillon au monde à être capable, lorsqu'il est dérangé, d'émettre un son, une sorte de couinement, grâce à une petite lame cornée située à l'entrée du pharynx qui vibre quand l'animal expulse violement de l'air.
LES CHANTS AILES Et nous arrivons aux sons printaniers : les chants d'oiseaux, sans lesquels le renouveau ne serait pas tout à fait ce qu'il est : une féerie. Les chants les plus familiers sont les roucoulements des tourterelles (Streptopelia : imèm). La tourterelle maillée à gorge rousse est sédentaire. Elle a été rejointe, il y a une quinzaine d'années, par la tourterelle turque, plus grosse et plus agressive, au plumage plus clair, beige avec un demi collier noir à l'arrière du cou. La tourterelle des bois, migratrice, aux plumes noires liserées de roux nous arrive dès le début avril et roucoule éperdument dans les pins principalement. L'un des plus beaux serait, à notre avis, le loriot (Oriolus oriolus) : migrateur doré aux ailes noires, discret. Seul, son chant mélodieux le trahit. Le guêpier (Merops apiaster : Mimouna) au plumage bariolé mêlant le bleu, le roux, l'or et le noir, se contente de pousser de courts sifflements aigus. Le martin-pêcheur (Alcedo Atthis), un joyau vivant : bleu cobalt, turquoise, brun orangé, vert jade, pousse des cris allongés et perçants et le très rare Gorge-bleue (Luscinia svecica cyanecula) à miroir blanc, migrateur est de la taille d'un moineau. Il se remarque à sa gorge d'un bleu brillant et maculé au centre d'une tâche blanche. Son chant, ronflant, sifflant, imitant celui d'autres oiseaux débute lentement puis accélère en devenant très aigu. Certains préfèrent, à n'en pas douter, le chardonneret élégant (Carduelis carduelis) à la tête rouge, blanche et noire ou le pinson des arbres (Fringilla coelebs) : « gai comme un pinson » ou encore la linotte mélodieuse (Carduelis cannabina) à la poitrine rouge et au dos roux qui chante à pleine gorge, des heures durant, dans les arbustes parmi les « herbes folles ». Tous trois sont protégés. D'autres affirment que le champion est le rossignol philomèle (Luscinia megarhynchos). Ne dit-on pas que : « Tel chante comme un rossignol » ? Mais son plumage assez terne le désavantage, à notre avis. Ne tuez pas, ne capturez pas les oiseaux : vous supprimez la mélodie du printemps.
NOTRE ENVIRONNEMENT Prenons garde : les herbicides nous « débarrassent » des « plantes sauvages » : les coquelicots disparaissent en Europe. Les insecticides nous privent de papillons et d'insectes pollinisateurs : « Sans les abeilles, les hommes ne tarderont pas à mourir ! » et les lumières des villes égarent les papillons de nuit. La recherche d'une productivité maximum éliminera aussi bon nombre d'oiseaux qui « ne servent à rien ! ». Les hirondelles (Hirunda rustica : Khottifa) qui annonçaient le printemps et les cigognes (Ciconia ciconia : Haj Kacem) qui portaient bonheur se raréfient. Plus de la moitié des plantes que nous venons de mentionner, sont connues, aussi, pour leurs vertus médicinales : doivent-elles disparaître parce qu'elles sont « sauvages » ? Que sera un printemps sans couleur, sans parfum, sans musique ? Un printemps sans vie ?