Il appartient à la race de ces écrivains, intemporels, qui vous touchent d'emblée, d'un roman l'autre, parvenant à tisser avec le lecteur, comme une forme de lien, ténu mais solide, pour l'entraîner irrémédiablement, dans son univers le plus intime. De telle sorte qu'il fasse très vite partie de cette famille d'élection, dont rien ni personne ne parviendra à briser l'harmonie. Ni la tendresse. Ombrageux Patrick Modiano, qui de « La place de l'Etoile » (prix Roger Nimier 1968), en passant par « Pedigree » (2005), et jusqu'à ce dernier-né : « L'Horizon » (2010) paru également aux éditions Gallimard, n'en finit pas d'arpenter son passé, en funambule hanté par des secrets indéfinis, éparpillés mais pesants, dont il essaie de se débarrasser, en semant des ersatz, sur sa route. Autant de cailloux blancs de « petit poucet », lesquels s'ils ne lui feront pas retrouver son foyer, vu qu'il n'en n'a jamais eu, lui éviteront peut-être de se perdre un peu plus en chemin. Car longue est sa quête… L'Horizon, son dernier opus, évite cette fois-ci un tant soit peu de se frayer un chemin par l'enfance, même si elle y est inscrite en filigrane, cherchant plutôt à remonter le cours d'une vie, enjambant quatre décennies, pour renouer avec ses vingt ans. Car le narrateur, qui a le même âge que l'auteur, -soixante-cinq ans-, se retrouve dans l'impérieux besoin de combler les hiatus encombrants ses souvenirs. Le vide est sidéral. Abyssal comme sa détresse. Comme si sa mémoire avait été en lambeaux, et qu'il n'arrivait pas à en recoudre les bouts. Un peu comme son être en somme. Ah ! s'il pouvait retrouver quelque chose qui pourrait s'apparenter à du bonheur… Mais la musique de Modiano ne s'élance jamais comme une longue plainte. Elle est têtue, mais pas envahissante. Du coup, elle vous griffe, et s'enfuit en courant. Vingt- ans et des poussières. Et la nette conscience d'être perdu dans une immensité désertique où des courants d'air imprévus ne font que renvoyer un souffle frigorifique, glaçant, parce que la solitude est toujours glacée. Et son étreinte trompeuse. Traîtresse comme le cours des jours qui défilent, suintant l'ennui et le désappointement. Mais il y eu cette rencontre. Une jeune femme, sans repères également, qui l'aimera un temps avant de disparaître. Quarante ans après, par on ne sait quelle alchimie de la mémoire, son souvenir ressurgit, comme par miracle, à la manière d'un manque dont le narrateur n'avait jusque-là jamais consenti la fulgurance. Jusqu'à cet instant précis où il passe dans une autre dimension. Alors commence la valse des fantômes tandis que pointe à l'horizon une percée éclatante de lumière. Par effraction. Cela s'appelle l'amour…