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Deux années avec Henry Bauchau
D'un siècle à l'autre
Publié dans Le Temps le 25 - 09 - 2012

Il aurait eu 100 ans le 22 janvier 2013. Il s'en est allé dans la sérénité du sommeil et de l'âge, de la nuit du 20 au 21 septembre 2012. Il était le doyen des écrivains belges et probablement l'un des plus grands écrivains francophones du XXe siècle et du début du XXIe.
Révélé tardivement à sa condition d'écrivain, c'est à cinquante-trois ans après des précédents poétiques (Géologie, 1958) et théâtraux (Gengis Khan, 1961) qu'Henry Bauchau publie son premier roman, La Déchirure, le récit d'une psychanalyse noué autour de la figure perdue de la mère. Et c'est la psychanalyse qui officiera à la création littéraire et, plus tard, picturale chez cet homme du siècle des tourments. Sa naissance, un an avant la Première Guerre mondiale, l'aura placé sous l'ombre du côté le plus ténébreux de l'inconscient déferlant alors sur l'Europe et, bientôt, sur le monde entier. Son traumatisme de guerre est ainsi inextricablement lié à sa séparation avec la mère qui aura duré des mois suite à l'incendie de Louvain. Une déchirure qui ne cessera de se répercuter sur la vie de l'enfant, cet enfant rieur qu'il aurait pu être, jusqu'à la publication du récit de sa vie, L'Enfant rieur (Actes Sud, 2011), qui aurait pu être un testament et ce le fut, finalement. Des jeunes années jusqu'au début de la Résistance — suite à la capitulation de la Belgique face à l'ennemi nazi —, L'Enfant rieur posait les fondements d'une vie, mais surtout d'une œuvre, qu'ainsi il éclairait par les zones les plus sombres. C'est au lendemain de la Seconde Guerre que s'exprime avec le plus de fulgurance la névrose du futur écrivain, qui s'exile ainsi et, à Paris, s'achemine vers le cabinet de la Sibylle.
La Sibylle, c'est ce personnage archaïque qui, des profondeurs du temps et de la psyché, tire la parole du narrateur dans La Déchirure. La Sibylle, c'est cette prophétesse à la chevelure de serpents qui apparaît tout au long de l'œuvre et surtout dans l'aveuglement du roi déchu dans Œdipe sur la route. Il s'agit de Blanche Reverchon Jouve, épouse de l'écrivain français Pierre Jean Jouve, qui, sur les pas de Freud, indiquait à l'analysant le chemin de la guérison résidant dans cette vérité : Henry Bauchau est un homme de lettres.
Le voilà alors à l'écoute de son inconscient qui lui ouvre la phrase à écrire, et à l'écoute de l'écriture qui lui indique les sentiers de la vie. Il écrit pour vivre, il vit pour écrire, et les projets littéraires se succèdent, entre poésie et romans. Discrètement, il traverse le siècle et sa voix se fraie un chemin dans le tumulte du monde, cependant peu nombreux sont ceux qui l'entendent. Ce n'est pas grave, Henry Bauchau est « écrivain par espérance » et l'espérance est ce qui le maintient en vie et en écriture. Après, entre autres, le monumental Le Régiment noir, Œdipe sur la route ainsi qu'Antigone qui lui fidélisent un certain lectorat et attire les critiques et les universitaires, c'est Le Boulevard périphérique, qu'il publie à l'âge de 95 ans, qui le hisse en haut de la liste des best-sellers — lui qui aura espéré toute sa vie d'être entendu.
C'est là que je découvre Henry Bauchau, dans une interview où il dit « écrire pour ne pas mourir ». C'est là que je découvre une œuvre tenue secrète, une existence qui a traversé les âges, un combat permanent entre la force et la faiblesse, entre le rêve et le délire, entre le dionysiaque et l'apollinien. Une écriture tendue, qui va jusqu'aux origines de l'ego et de l'humanité. J'y consacre deux mémoires de recherche, deux années de travail qui, je le sens, me transforment. Une fois le second mémoire achevé, j'aide Henry Bauchau à monter des escaliers, en rêve, car il doit aller retrouver sa mère. Je suis étonné par sa vigueur, la rapidité de ce siècle qui monte les marches à mes côtés. À un étage du point d'arrivée, cependant, il se fatigue et s'effondre au pied du mur. Mais il parvient finalement à remonter et il n'est plus là, il est arrivé. Cela pourrait paraître épique. Mais j'étais simplement soulagé d'avoir achevé ce mémoire et de, peut-être, passer à autre chose — avec la force ancestrale d'Henry Bauchau.
Le vendredi 21 septembre, date de la soutenance qui se déroule dans les meilleures conditions possibles, mon implication personnelle est ressentie dans le travail. Nous ne savions pas, pas encore. À la sortie, j'apprends la nouvelle et le trouble s'installe. Un mois et demi auparavant, j'étais parvenu à écrire à Henry Bauchau cette lettre que je ruminais depuis plus d'un an. Aujourd'hui, elle sonne comme une lettre d'adieu.
Cher Henry Bauchau,
J'ai rêvé que je vous rencontrais. Qu'il suffisait de suivre des rails de train reliant le château de Vincennes, en face duquel j'habite, au château de Louveciennes — que je n'ai jamais visité, et je ne sais quel château réel le rêve ré-imaginait. Je devais donc simplement arpenter ce chemin parallèle, déjà creusé dans mon esprit et avec la force de vos écritures quand elles avaient commencé à s'y dérouler, voilà déjà deux ans.
J'ai rêvé que je vous rencontrais et cette lettre, pliée et repliée depuis plus d'un an dans le secret de l'acte, se révèle enfin et je peux vous la dire.
Cette lettre n'est cependant motivée par aucun autre but que celui de vous parler, comme peut-être des centaines d'autres anonymes qui ont croisé vos personnages, et d'avoir la chance, la folle et naïve ambition de ne plus être anonyme — de vous dire que j'existe, avec tout le danger de ce « je » formidable.
La culture d'où je viens nous alerte parfois du danger de ce « je » et nous nous ravisons : « Je me réfugie en Dieu à l'abri du mot ‘‘je''. » Ce « je » (anâ)qui, en arabe, veut aussi dire « moi », aurait originellement une essence diabolique, puisque c'est en ces termes que Satan aurait refusé de faire allégeance à Adam : « Je suis meilleur que lui », et Satan aurait été le premier être, après Dieu, à affirmer son existence en assumant ce « je », le « je » du révolté. Et vous, Henry Bauchau, vous vous êtes rebellé pour naître à vous-même, comme tous ces peuples à travers le monde, comme mon peuple de Tunisie — qui cherche encore, encore à naître. Je connais votre longue réticence, à travers vos textes, à brandir votre « je » à la face du monde, le contournant par une multiplication de pronoms, de personnages, de personnages intérieurs, d'angles de vue et de narration, d'interlocuteurs, d'espace-temps, de métamorphoses... Et pourtant, c'est un « je » tout entier qui, dans cette distanciation, fait resplendir son identité. Peut-être que le « je » est tout cela, à la fois certitude et illusion, et que s'estimer vainqueur d'une lutte c'est aussi la perdre un peu.
J'ai quitté mon pays il y a deux ans pour poursuivre le rêve que je m'étais tracé, le rêve d'un ciel où pourraient s'élever mon esprit et se dérouler mes amours. J'échappais à quelque chose, à une ancienne promesse d'avenir que je laissais sur le tarmac et dont je toise le cadavre, se décomposant sous cette chaleur de Méditerranée,à chaque fois que j'y retourne. Vous souvenez-vous encore de cette vierge Tunisie dont vous avez un jour respiré l'air, des dizaines d'années auparavant ? Vous connaissez son peuple, pas si éloigné de celui d'Algérie, et vous avez suivi avec Jean Amrouche l'histoire d'une guerre dont celui-ci ne put avoir le fin mot, voir le mot fin. De ce côté-là du monde, l'histoire se fait encore et les peuples cherchent la paix sans savoir où ils l'ont égarée. Quelques mois après mon départ, les rues de Tunisie se relevaient, vides de mon espoir. J'en avais rêvé, pourtant, et partir aurait pu être pour moi une façon de mieux revenir. Mais je ne pensais pas clairement au jour du retour, parti que j'étais pour accomplir une sensation d'étrangeté qui avait déjà commencé en moi, la légitimer. Entre sentiment d'échec et plénitude de la réussite, je me confronte à l'impossibilité d'avoir un chez-moi, alors je m'acharne davantage ou me laisse abattre. Peut-être est-ce naïf de commencer à parler d'exil à vingt-cinq ans, peut-être souriez-vous à ma candeur par-delà ces âges qui nous séparent. Vous qui avez traversé cette Europe si noire du nazisme, ce cauchemar qui a réveillé en vous les démons du passé et de l'avenir — comment mesurer mes traumatismes aux vôtres ?
J'ai fait de votre Déchirure mon visa pour l'avenir que j'ai décidé de rattraper ici, à Paris, avec un Master Lettres modernes à la Sorbonne Nouvelle. Ce choix de corpus s'est imposé quand je cherchais un sujet en relation avec mon intérêt pour l'onirisme et l'activité de l'inconscient. J'avais lu La Déchirure en 2008, après Le Boulevard périphérique grâce auquel je découvris votre œuvre, comme des milliers de vos lecteurs tardifs. Une interview de vous dans le magazine Lire m'avait interpellé.Le titre était quelque chose comme « Ecrire pour ne pas mourir ». Je ne saurais, maintenant que j'ai sinué dans tant d'artères de votre œuvre, de votre conscience délayée le long des pages, décrire le plaisir de la découverte, l'émotion, les révélations. Avec quel empressement je lus Le Boulevard périphérique, ensuite La Déchirure et puis le cycle œdipien, ces livres dont le cœur pulsait quelque part dans la médiathèque française de Tunis — où je cuvais frénétiquement mes lectures — et qui n'avait encore jamais appelé mon oreille. De ce côté-ci de la Méditerranée, votre œuvre encore si peu connue n'échouait que là, mais ce n'était pas grave. Ce temps me semble aujourd'hui si ancien, et je me rends compte, à ce point de la croisée avec votre œuvre, que celle-ci, m'ayant accompagné de manière si constante, et le continuant — j'avoue sans honte aucune ne pas avoir lu toutes vos publications, car ainsi la vive conversation que j'entretiens avec votre âme d'écrivain se poursuivra encore dans l'avenir —, m'a vu évoluer. Elle a probablement participé à mon évolution, a si discrètement fait son chemin en moi, et je le sens au quotidien, durant mes nuits, dans l'écriture.
Votre écriture, monumentale — par l'âge, la qualité et la quantité — a parlé à la mienne qui poussait encore. Je ne crois pas que mon style, balbutiant, suive les courbes du vôtre, que l'exercice a rendu, à mon avis, si parfait. Mais il me semble bien que c'est à l'époque où j'ai croisé vos livres qu'une certaine idée de mon style actuel s'est tout naturellement esquissée, commençant à plaire, alors que je m'acharnais depuis tant d'années avec cette langue d'adoption qui me semblait si docile. Il serait peut-être encore tôt et prétentieux de me laisser aller à la tentation de disserter sur mon écriture (surtout que je n'ai pas encore été édité). Mais je dirais simplement que, auparavant coulante et peut-être naïve, elle est un jour entrée dans les rouages d'un mécanisme plus grand, la rendant consciente d'elle-même, de sa destination, du bien auquel elle œuvre ou du mal qui la ronge, et c'est peut-être ce que vous appelez la résistance. Mes manuscrits — finis mais inaboutis, ou alors achevés ou abandonnés — ayant toujours tenu la distance avec mon temps, mon espace et mon identité, désormais ils s'engageaient dans ce qui me semblait être la vraie vie, si la vie peut être vraie. Sans vocation autobiographique (j'en ai peut-être vécu des choses, mais comment oser en parler maintenant ?), ni penchants journalistiques, je mets au point des fictions où se découvre mon attirance pour la beauté du désastre — ce qui ferait peur à mes proches. Peut-être que j'écris pour m'épargner le courage de la folie. Et si vous avez été faible face à la résistance, cela vous maintient en vie, alors permettez-moi d'être aussi faible que vous.
Je voulais éviter la théorie littéraire, mais je n'ai pu résister plus longtemps. Certains de mes anciens enseignants à Tunis, ayant appris que j'« écrivais », prétextèrent cette vocation qui était la mienne pour me prouver mes limites critiques, me disant que les écrivains étaient mauvais théoriciens, et vice-versa — ce qui devait être tout à mon honneur. Frustré, je prenais moi-même le parti de Nancy Huston (que, paraît-il, vous appréciez) qui prône un retour vers une pureté durasienne de l'écriture, de se tenir à l'écart de la théorie corruptrice. Je disais, fièrement, que j'étais au-delà du miroir, alors que les chercheurs, devant, se complaisaient de leurs reflets. Mais j'ai finalement succombé à cette nouvelle bataille, celle de la recherche, armé de votre Déchirure. Cependant, je me suis retenu d'en tuer le texte, évitant de l'ausculter froidement, de le scalper, de le décortiquer, de le démembrer. Ç'aurait été en tuer l'auteur. Ne surtout pas faire plaisir à cette enseignante qui disait : « N'écrivez pas ‘‘l'auteur dit'', car Roland Barthes a bien dit que l'auteur est mort. » Roland Barthes a dit mais il n'est pas mort, alors vous non plus. Je me suis mis de votre côté, fidèle à vos autocommentaires, à vos déclarations. Etudiant L'Ecriture de l'inconscient, je me suis référé aux topiques freudiennes par respect à la structure volontairement œdipienne de votre texte. Durant les mois que j'ai passés à lire pour ce mémoire et à l'écrire, c'est comme si vous étiez devenu mon alter-ego, que je regardais m'inspecter, de l'intérieur, et dont je craignais qu'il me juge ou se fâche si jamais j'avançais de fausses ou mauvaises hypothèses. Il commençait à germer en moi l'idée de vous rencontrer, mais comment faire et que vous dire ? Alors peut-être vous écrire, d'abord, mais, encore une fois, comment faire et que vous dire ? Et quand j'ai rêvé de vous pour la première fois, vous voyant, dans des images en noir et blanc, filmé sur un canapé pour un documentaire qui n'a probablement jamais été réalisé, je me suis senti rassuré — mon implication était réelle.
Le résultat positif de ce premier mémoire m'a poussé à intégrer d'autres de vos livres au corpus du mémoire du Master 2, dont le titre est Du Moi au Soi. La quête des origines dans les récits d'Henry Bauchau. J'y consacre encore mon été. Vous ne tenez peut-être pas trop à savoir de quoi il s'agit, mais il m'a semblé un jour avoir l'idée inédite que votre écriture était la recherche continue d'une parole originelle, d'un langage d'avant la langue et la conscience. Sans articles déjà écrits sur la question, le travail aurait été ardu et pu faire l'objet d'une thèse. Jusqu'au jour où j'ai découvert, dans l'une de vos interviews, que ce fantasme était en effet le vôtre, et cela m'a étrangement réconforté. Après ce mémoire, je n'aurai pas le courage de m'aventurer sur les rives dangereuses d'une thèse de doctorat — je n'en ai pas le don.
Une chose est sûre, c'est au contact de vos écrits que je me suis laissé apprivoiser par la théorie littéraire, cependant par la porte des sciences humaines, et essentiellement de la psychanalyse. Un jour, peut-être, je m'étendrai comme vous sur le divan d'un psychanalyste, mais pour l'instant la lecture et l'écriture suffisent à ma survie. Nous sommes peut-être à la veille d'un des plus grands désastres du troisième millénaire, arrosé par le sang des martyrs de mon pays et qui noie encore les Syriens dans le leur. Cette silencieuse tragédie finira bien par exploser à la face du monde, et peut-être alors me retrouverai-je sans abri face à la tempête qui s'annonce. Est-ce cela qui me pousse à l'écriture, dans l'écriture ? Est-ce pour me forger les armes qu'un jour vous avez perdues ? Oui, l'inconscient est la plus grande force de notre univers mais aussi son tombeau. C'est ce « monstre de beauté et d'horreur » dont vous parlez dans L'Enfant rieur, ce grand inconnu qui s'invite à nos festins et organise nos génocides sous la table. Si vous avez vu cette incarnation du démon durant les années du nazisme, si vous l'avez également vu disparaître, vous voilà contemporain de son grand retour, mais cette fois immensément invisible. Dans son ombre aux contours lointains, nous ne savons pas ce qui se passe ni vers où nous allons.
Toutes les nuits et au quotidien, grâce à vous, de bons maîtres comme Freud et Jung m'aident, chacun à sa façon, à apposer la voix de mon inconscient au silence assourdissant d'un inconscient collectif qui, plus que jamais, se déchaîne dans la grande nuit de ce début du xxie siècle. Je ne saurais décrire ce en quoi vous avez déjà réussi. Mais il me semble nécessaire, aujourd'hui, de trouver à sa fiction une place dans la fiction du monde, de retrouver le lien entre son nombril et la source des choses. Peut-être ainsi trouver le sens. Mais peut-être ne le faut-il pas.
Un jour, Henry Bauchau, j'ai eu la chance de vous connaître.
Avec toute ma gratitude,
De notre correspondant à Paris : Khalil KHALSI μ
Félicitations à Khalil
Khalil Khalsi a été le plus jeune collaborateur dans l'histoire du Temps. Il avait commencé avec nous, neuf ans en arrière, comme chroniqueur culturel, même s'il a levé pied depuis quelques années...
Aujourd'hui, il réussit son Master à la Sorbonne III. Son mémoire intitulé : « Du Moi au Soi ». La quête des origines dans les récits d'Henry Beauchan, lui a valu un 18 sur 20.
Félicitations à Khalil et nos vœux de pleins succès encore.


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