Cela marquera son œuvre. Comme au fer rouge. Comme cela a nourri son inspiration, et décidé de ses choix à venir, alors même qu'elle n'était encore qu'une petite fille, et qu'elle refusait de se rendre à l'évidence que les sentiments, surtout quand on les croit éternels, sont faits pour changer, au gré d'une boussole intérieure, qui confond le plus souvent le nord avec le sud, ici en l'occurrence. Elle ne pardonnera pas à son père d'infliger une si grande souffrance à sa mère, tout comme elle ne comprendra jamais que cette dernière ait pu se laisser faire à ce point, abdiquant de toute dignité, ravalant sa fierté au vestiaire, jusqu'à ce que la souffrance enfouie, ne fasse partie de son être même, et qu'elle oublie de communiquer à sa fille le goût du bonheur. Louise Bourgeois ne se remettra pas de son enfance grise et rafistolée de toutes parts, par un désir d'en découdre quand même, après avoir échappé au suicide. La sculptrice franco-américaine est décédée lundi 31 mai à New York. Reste son œuvre. Un legs artistique impressionnant, qui fait parfois dans la provocation, mais dont nul ne peut contester l'importance, ni la singularité. Ses structures à géométrie variable de la famille, seront sa marque de fabrique en sculpture. Ainsi que le culot et l'audace. Né en 1911 un jour de Noel à Paris, Louise Bourgeois entreprendra des études de mathématiques avant de se tourner vers l'art. Elle peaufinera sa passion en fréquentant toutes sortes d'académies, mais refusera le formatage. Le Louvre constituera également pour elle une escale de prédilection, et on comprendra qu'elle en tire très vite, le sentiment que la sculpture est faite pour elle. A sa mesure. Ce qui n'est pas donné pour une femme à son époque. Admirative de Giacometti, l'artiste dont l'œuvre est souvent rapprochée du surréalisme, ne se laissera pas décourager par l'hostilité d'un milieu, où sortir des sentiers battus, implique de devoir se battre doublement pour sa survie ; et pour s'imposer sur une scène artistique qui préfère obéir à des codes, préfabriqués au gré des circonstances et des fluctuations du moment, si l'on ne veut pas être relégué aux oubliettes, bien plus vite qu'on ne le pense. Mariée en 1938 à l'historien de l'art américain Robert Goldwater, Louise Bourgeois émigre aux Etats-Unis pour échapper à la guerre, et pour ne plus être sous influence. Celle de son père. Elle emmène avec elle un orphelin qu'elle a adopté. Par la suite elle aura trois autres fils. A New York, elle s'inscrit à l'Art Student League, où elle pourra sculpter à loisir. Mais aussi dessiner et peindre. Elle prendra la nationalité américaine en 1951. Son père venait de décéder. Pour Louise Bourgeois les matériaux de prédilection, seront d'abord le plâtre et le bois, puis ça sera aussi le marbre, et aussi le latex. Sa première grande rétrospective officielle se tiendra au MoMA en 1982. Elle aura eu le temps, largement de suer sang et eau avant d'atteindre la notoriété qu'elle méritait. Sauf que son activité artistique, protéiforme, ne peut être considérée comme du temps perdu. Louise dessine, beaucoup, à tour de bras, en mettant en gestation ses sculptures futures. Un peu comme un embryon prend forme subtilement, avant d'émerger de l'anonymat de sa forme. Elle donnera naissance à des corps semblables à des placards, des enfants qui sortent par la bouche, des écheveaux végétaux, des ciseaux, des nœuds, et des manières de totems. A l'image de ses premières sculptures : un alliage de formes minces et pures et de fétichisme, fonctionnant comme autant d'exorcismes, et traduisant l'angoisse de leur créateur. Car Louise n'arrivera pas à se défaire d'une forme de tristesse diffuse, qui l'habitera toute sa vie comme une seconde nature. Tout comme certaines obsessions familiales, traduites par des associations d'idées avec le métier de ses parents. A savoir la restauration de tapisseries. Son peigne géant qui figure un groupe d'aveugles, est une sculpture qui aura fait date. Mais pas seulement puisque jusqu'à son arrivée sur la scène, aucune artiste n'avait jamais atteint sa notoriété et son aura en Occident d'une façon générale. Aujourd'hui partie pour le « Grand Ailleurs » après avoir bouclé un siècle et entamé l'autre, Louise Bourgeois lègue à la postérité, de magnifiques sculptures en marbre à l'identité équivoque, des installations dont elle a le secret et qui sont considérées depuis longtemps comme des chefs-d'œuvre, à l'instar de son fameux Phallus ou de son araignée géante, qui auront fait le tour du monde. Dans l'histoire de l'art universelle, Louise Bourgeois demeurera irremplaçable…