Pour beaucoup de métiers, les nouveaux diplômés sont appelés à exercer là où l'opportunité de travail se présente, en fait le plus souvent dans de nouvelles zones plus ou moins éloignées des lieux de résidence des postulants. La perspective est diversement appréciée, en particulier quand ce changement est ressenti comme une forme de sanction. Depuis toujours, certains métiers, en particulier ceux relevant de l'agriculture ou de l'éducation, ont exigé une migration interne rattachée à la nature de l'occupation professionnelle en question. Ainsi, de grandes épopées ont été écrites, et parfois scénarisées, sur ces héros de l'abnégation que furent des générations d'instituteurs appelées à diffuser le savoir dans les zones les plus reculées, dans des conditions souvent difficiles. Tout le monde était reconnaissant à ces hommes et femmes quelque part piliers de la construction du pays. Il est même admis que, sans eux, rien ou presque, n'aurait été possible dans le projet de développement collectif. La valorisation morale de ce sacrifice n'a pas toujours été accompagnée d'une valorisation matérielle conséquente, mais le système a assuré sa pérennité par de multiples actions de régulation. Il était ainsi admis que la pratique du roulement assurait l'égalité de tous devant le sacrifice à consentir dans ce sens. Un enseignant débutant commençait sa carrière par un poste « éloigné », ce qui lui donnait le droit, après une période probatoire, de se rapprocher des grands centres urbains. Il a ensuite été admis que le « rapprochement des conjoints » était une autre raison suffisante pour mettre fin à l'éloignement. Humanisation du système Et à force, le système a trouvé ses marques et les critères qui lui donnaient une bonne dose de crédibilité. En somme tout était pour le mieux, dans le possible bien entendu. Il en est comme pour le système d'Orientation universitaire : on n'était pas dans le parfait, mais de multiples correctifs récupéraient tant bien que mal les cas dits particuliers. L'idée de sacrifice a en quelque sorte été édulcorée par le partage entre tous des contraintes et par le caractère temporaire de la « sanction ». D'autres ajustements ont par la suite été appliqués, et plusieurs zones, considérée au départ comme appartenant au roulement par éloignement, ne le sont plus. Le développement, et l'urbanisation qui en a résulté, ont permis de reclasser certaines zones et de modifier la géographie de l'éloignement. Ce dernier constat est, en réalité, au centre de la préoccupation de mobilité « nécessaire ». Depuis une vingtaine d'années au moins, d'autres secteurs sont venus se joindre aux instituteurs et aux conseillers en agriculture. L'Université par exemple ne se déclinait plus en termes de grands centres urbains et, surtout, côtiers. La création d'une Faculté des lettres dans la périphérie de Kairouan, établissement à potentiel de recrutement appréciable, a exigé la mobilisation de ressources humaines conséquentes pour assurer des formations à qualité égale avec les centres classiques. Les enseignants ont ainsi été appelés à migrer selon des modalités diverses, mais dans tous les cas contraignantes. Beaucoup ont opté pour la formule appelée en France des turbo-profs. On bloquait le service du en deux journées, et on retournait à la maison pour le reste de la semaine. Par la suite, et dès que possible, toutes les raisons étaient bonnes pour formuler une demande de mutation, en fait le désir de mettre fin à l'éloignement considéré encore comme une sanction. Intendance et sédentarisme Résultat des courses : le caractère « passager » de la plupart des enseignants expérimentés empêchait d'assurer une vraie dynamique de développement des institutions à tort ou à raison considérées comme excentrées. En gros, le système fait que plus on a de l'expérience, et des qualifications, plus on avait des chances de se retrouver dans des centres où le taux d'encadrement était meilleur. En même temps, les exigences de qualité dans la formation restent bien entendu identiques. Les diplômes délivrés doivent fonctionner à l'identique, quelle que soit l'institution qui les délivre. En fait, la démarche est comparable, concernant d'autres secteurs, par exemple celui qui relève de la pratique de la médecine. « L'éloignement » est en réalité une donnée toute relative. Les arguments de ceux qui considèrent qu'il s'agit d'une sanction tiennent aussi à l'idée que dans les zones en question, les conditions de vie sont difficiles. On a beau faire preuve d'abnégation, la proximité avec les rouages de santé n'en sont pas moins nécessaires. A ce sujet, l'Etat a bien initié des mesures d'incitation spécifiques pour encourager le personnel de santé de tous les niveaux à franchir le pas, les résultats ne sont pas à la mesure des espoirs. On pourrait dire que le Tunisien n'a pas la culture de la mobilité. La règle non écrite reste la fixation autour de zones fortement urbanisées et devenues tentaculaires. C'est plus rassurant, même quand l'acquisition du logement atteint dans ces zones des niveaux de prix particulièrement élevés. La suite est connue : les centres commerciaux, les services et les commodités de la vie s'installent à proximité et accusent les déficits dans l'arrière pays. En général, on est excentré dans l'exacte mesure où on est propriétaire foncier dans les grands centres urbains, le plus souvent côtiers. Pourtant, tout laisse à penser que la mobilité va être bientôt, si ce n'est pas déjà le cas, une nécessité. Cette réalité est un vécu banalisé dans beaucoup de pays régis par le réalisme économique et l'obligation d'accéder à l'emploi. Trouver du travail rémunéré passe avant la sécurité du logement acquis pour la vie. Le changement d'optique n'est certainement pas chose aisée. Encore faut-il, dira-t-on, créer effectivement les conditions optimales du confort et des services partout où déménage le travail. . Là en particulier, il reste beaucoup de chemin à parcourir.