Indicible sérénité... Chaque année, au 33ème jour de la Pâque juive, les juifs d'Afrique du Nord et d'ailleurs, commémorent cette synagogue qui remonte au IV siècle avant JC reliée sans doute à l'établissement d'un groupe de cohanin, prêtres du temple de Jérusalem, arrivés là après la destruction du premier temple par les Babyloniens. On raconte aussi que les réfugiés ont apporté avec eux une porte et une pierre de l'autel du temple détruit ; cette pierre est incorporée à l'une des voûtes de la synagogue. D'autres disent que cette synagogue construite au XIXe s. fut occupée par une jeune fille étrange... l'étonnante " ghriba " rejetée par les habitants de l'île, morte dans un incendie consumant sa hutte mais pas son corps. D'autres encore après l'avoir sanctifiée, disent que ce fut une réfugiée juive d'Israël qui s'était sauvée , emportant avec elle un rouleau de la Torah et une pierre du temple de Jérusalem. Elle serait morte en arrivant à Djerba. Légendes, croyances, chants résonnent à travers l'île depuis des millénaires. La Tunisie à l'exceptionnelle hospitalité, ne cesse de déplier ses textes, d'ouvrir ses lieux à l'autre jamais étranger ! Car même si les pèlerins commémorent aussi l'exil et l'inévitable diaspora après la destruction du temple, ils viennent se réconcilier avec leur identité profonde dans la transcendance de l'événement car événement il y a ! Parmi les pèlerins venus par milliers qui donnent aux journées une atmosphère des plus festives, chants, danses, grand déjeuner, petits étalages d'objets traditionnels à la vente, des personnalités tunisiennes avaient fait le voyage, le ministre du Tourisme Monsieur Tijani Haddad n'a eu de cesse de rappeler la symbolique de l'événement comme une consolidation des liens avec l'autre, comme un chemin vers la paix, comme un exemple du " vivre ensemble ". L'historien monsieur Fantar qui a aussi fait le voyage rappelle combien l'histoire des juifs de Tunisie est un des chapitres importants de l'histoire de la Tunisie et que la religion est un des critères de l'identité. Incomparable sérénité des propos, incomparable terre qui renouvelle sa tendance naturelle à la tolérance. Terre qui voit dans ces lieux de culte d'Afrique du nord, jaillir la douceur des coutumes dans une cohabitation unique . " La Hara sghira " a fait couler beaucoup d'encre en effet. Elle dit une chose essentielle que " le vivre ensemble " n'est pas une utopie, que l'harmonie religieuse est une réalité ! L'Imam de la mosquée " Houmet Souk " M. Ben Chaabane, a rappelé aux visiteurs l'intemporalité du texte saint qui a dans ses fondements une quête spirituelle commune. Et comme " Al Qods ", cité sainte pour les trois religions, Djerba aussi, elle aussi rassemble l'hégémonie des symboles, cette possible alliance des trois textes, cette promesse de salut. Sans âge, immémorial, un pèlerinage bien qu'il soit le voyage du croyant vers un lieu de dévotion, bien qu'il soit l'exilé qui se déplace à pied pour aller à la rencontre du sacré, est aussi le lieu de la rencontre du profane et du sacré. Un rêve réalisé ! Un inévitable dialogue ! Une terre multiple et plurielle ! L'histoire humaine nous montre qu'il n'est jamais trop tard, qu'il y a toujours une voie sereine dans la spiritualité, que la paix des religions précède la paix politique... que l'alliance de l'homme avec son semblable est possible. Le dialogue des civilisations ne relève ni de l'accidentel ni de la mise en scène, il est un chant intérieur propre à tous les hommes, un chemin lumineux à emprunter de rêves, de légendes et de réalités. La visite des écoles publique et talmudique fut un véritable plaisir. Le pèlerinage de la Ghriba à Djerba est plus qu'une métaphore, il est le lieu de toutes les cohabitations. Je quitte l'île de Djerba et me reviennent en mémoire les mots du poète tunisien Abdelwaheb Meddeb : " Une olive et une datte dans l'assiette du nombril pour nourrir l'oiseau des cyprès qui boit l'eau de la pluie dans les empreintes de la mémoire... " Je quitte Djerba et je sais que la mémoire est tissée de voix polyphoniques. Que le chant des sirènes puisse atteindre tous les hommes