La Tunisie commémore chaque année, les anniversaires de la mort des nationalistes et des syndicalistes tunisiens tels Habib Bourguiba, Farhat Hached, Tahar Sfar, Salah Ben Youssef, Hédi Chaker, Hédi Nouira, Mohamed Ali El Hammi, Docteur Habib Thameur, Habib Achour, Ali Belahouane, Mahmoud El Materi, Taieb Méhiri, Mongi Slim, Jellouli Farès, Hédi Khéfacha, Mohamed Badra, Mohedinne Klibi, Docteur Sliman Ben Sliman, Docteur Ahmed Ben Miled, Maître Fathi Zouhair Ahmed Noureddine, Bahi Ladgham et de bien d'autres militants. Ce qui est sûrement une bonne chose. Sans doute faudrait-il aussi ne pas oublier les autres militants de la première heure, comme Abdelaziz Thaâlbi, Salah Farhat ou encore un des plus illustres d'entre eux. Il s'agit du martyr Moncef Bey, mort en exil en septembre 1948 à Pau en France et dont la commémoration a été célébrée l'an dernier. Ce que les histoires appellent le Moncefisme, auquel succéda plus tard, le bourguibisme, constitue une belle page de l'histoire de notre pays, auquel il faut rendre régulièrement hommage. Le devoir de mémoire nous y oblige, en souvenir de Moncef Bey, fils d'un autre monarque nationaliste Mohamed Ennaceur Bey. Cependant, il n'est nullement question de faire l'apologie de la monarchie, les Tunisiens ayant opté irréversiblement pour la République. Il incombe naturellement aux historiens d'écrire l'Histoire de notre pays. Il n'en demeure pas moins vrai, que célébrer chaque année l'anniversaire de la mort du monarque bien-aimé Moncef Bey, c'est rendre justice à un nationaliste tunisien, hors pair, hors du commun, qui a pleinement mérité de la nation. L'institution du Protectorat français en Tunisie en 1881et l'occupation de notre pays, a suscité dès le début du siècle dernier, une longue résistance, une prise de conscience des élites et de l'ensemble des Tunisiens, qui ont durant toute la période coloniale, revendiqué leur indépendance. L'émancipation du Peuple Tunisien a toujours figuré au programme des hommes politiques et des nationalistes tunisiens, dont Larbi Zarrouk. Parallèlement à leur engagement politique, les Jeunes Tunisiens et à leur tête Abdelaziz Thaâlbi, se référant à la première Constitution tunisienne de 1861 sorte d'étendard du libéralisme politique, se considéraient comme les continuateurs du réformateur Kheireddine Pacha. D'où l'organisation de campagne de scolarisation et d'éducation du peuple tunisien. Ce mouvement se caractérisa par un élargissement de ses assises et une volonté d'appui de l'élite engagée auprès des masses populaires. Avant d'accéder au trône, le 30 avril 1942, Moncef Bey s'illustra en avril 1922 en soutenant les reventications des membres du Destour, fait recevoir par son père le Monarque Naceur Bey, se basant sur le Pacte Fondamental de 1857 et sur les textes du Protectorat qui considèrent que la Tunisie est un pays souverain, protégé par la France et non un pays colonisé. Les revendications, des nationalistes, d'intellectuels et des syndicalistes tunisiens, du parti politique du Destour fondé en 1920 par Abdelaziz Thaâlbi (1906/1952), qu'il dirigea, puis qui fut dirigé par Salah Farhat et du Néo Destour dirigé par Mahmoud Materi et Habib Bourguiba après la 2ème Guerre Mondiale, s'inscrivaient dans le même sens. Il en est de même de l'action de Moncef Bey. Au programme politique du Monarque nationaliste (1942/1943) figurait en première place l'émancipation du Peuple tunisien par la scolarisation, l'éducation et l'enseignement. Parmi, les signes forts de son programme figurait le droit de tous les Tunisiens à l'enseignement. Un de ses premiers déplacements officiels de Moncef Bey en tant que monarque, fut sa visite et son discours sur le thème de l'émancipation des Tunisiens au Collège Sadiki, dont il fut un élève assidu. Outre le Docteur Zmerli qui a écrit un bel ouvrage sur Moncef Bey et le livre du cinéaste Omar Khifi, beaucoup d'hommes politiques ont apporté leurs témoignages sur Moncef Bey : Ahmed Ben Salah qui fut son officier de liaison avec le Destour, Mongi Kooli, Bahi Ladgham, Habib Bourguiba, Rachid Sfar… Nous savons que les militants tunisiens avaient pris l'habitude de consulter Moncef Bey, alors qu'il était en exil à Pau en France. Les étudiants tunisiens à l'étranger, avaient pris l'habitude aussi de rendre visite à Moncef Bey durant les vacances dans sa résidence forcée lors de son exil forcé dans le sud ouest de la France et dormaient dans son salon. Alors que le téléphone sonnait. Ahmed Ben Salah décrocha. « Passez-moi, Sid El Moncef ? C'est de la part de qui ? : « Répondait A. Ben Salah. « C'est Habib Bourguiba, je suis au Caire avec Si Béhi Ladgham et j'aimerais parler à Sid El Moncef ». Une conversation s'engagea entre le Souverain et le jeune leader Habib Bourguiba. Celui-ci informa par téléphone Moncef Bey de son prochain voyage avec Bahi Ladgham à New York, pour défendre la cause tunisienne aux Nations Unies, prenant conseils et recommandations auprès du Souverain nationaliste, qui suivait de près les activités des militants tunisiens tant en Tunisie qu'à l'étranger et qui leur prodiguait ses conseils et recommandations. D'aucuns rapportent qu'alors que le leader Habib Bourguiba s'apprêtait quelques années auparavant, à effectuer le traditionnel baise-main auprès de Moncef Bey qui avait aboli cette humiliante et détestable pratique de beylik (mais qui fut rétablie par son successeur Lamine Bey), celui-ci aurait répliqué : « Vous êtes tous mes enfants et je n'aime pas les baises-mains ». Le monarque nationaliste profita de la Deuxième Guerre Mondiale et de l'occupation de la Tunisie par les Puissances de l'Axe, pour revendiquer avec véhémence l'Indépendance de la Tunisie qu'il aimait tant. Ce qui lui a valu sa déposition au lendemain de la IIème guerre mondiale à l'extrême Sud de l'Algérie, Tamanrasset, puis dans les environs d'Alger et enfin dans le Sud de la France à Pau ou il mourut en exil dans des conditions non élucidées à ce jour. Les exemples du militantisme de Moncef Bey et les oppositions qu'il n'a cessé de faire preuve à l'encontre du résident général de France en Tunisie sont nombreux, le nouveau résident Général l'Amiral Esteva arriva à Tunis à bord d'un navire de guerre pour bien marquer sa politique répressive à l'encontre des Nationalistes tunisiens. Le nouveau Souverain n'a pas manqué d'avoir des relations difficiles avec l'Amiral Esteva, refusant dans un premier temps de le recevoir. Puis, il envoya en lettre en douze points au Maréchal Pétain chef de l'Etat français, ayant chargé une importante délégation tunisienne comprenant Docteur Mahmoud El Materi de remettre cette lettre au Maréchal. Moncef Bey a eu un certain nombre d'altercations avec l'Amiral Esteva : présentant à Moncef Bey les personnalités en grande majorité françaises et quelques Tunisiens au cours d'une cérémonie officielle, l'Amiral Esteva fut interpellé par le Souverain : « Pourquoi, y a-t-il si peu de personnalités tunisiennes occupant de hautes fonctions ? » et ce, contrairement à la règle de parité pourtant prévue dans les Traités conclus entre la France et la Tunisie ? – « Seuls les Français sont aptes à occuper des postes de responsabilité » a répondu sèchement l'Amiral Esteva et le Monarque nationaliste de répliquer : « ce n'est pas normal. Il faut respecter les termes des Accords conclus dans le cadre du Protectorat français en Tunisie… » D'autres accrochages, événements et faits illustrent la volonté de Moncef Bey pour libérer la Tunisie du joug colonial, qu'il serait long d'évoquer dans le cadre de cet article. En revendiquant l'Indépendance de Tunisie, Moncef Bey a appliqué une stricte neutralité durant la seconde guerre mondiale vis-à-vis de la France et vis-à-vis de l'Allemagne nazie. Il fut aussitôt accusé par les Colons français principalement d'Alger, siège du Gouvernement provisoire français, « de collaborer avec l'Allemagne hitlérienne ». Ce qui n'était nullement le cas. En réalité, le Monarque tunisien revendiquait l'autonomie de son pays. Seule l'Indépendance de son pays comptait. Accusé à tort de collaboration avec le Nazisme, les Autorités françaises ont procédé avec l'aval des Alliés, à la déposition du monarque résistant tunisien Moncef Bey à la fin de la 2ème Guerre Mondiale, aussitôt après le débarquement des Alliés en Tunisie, plus précisément des Anglais dans le Sud de Tunis (Hammam-Lif). Ce n'est que bien après la Guerre et durant l'exil de Moncef Bey à Pau lorsque les archives du IIème Reich furent retrouvées à Berlin que la vérité sur Moncef Bey éclata en France : la correspondance et surtout une lettre du Ministre allemand résidant en Tunisie Rahn adressé au « Fureur » a révélé l'obstination de Moncef Bey et de son refus de collaboration avec les Nazis/allemands, qui avaient envisagé eux aussi de le déposer. Faisant un large écho à la déposition injuste, illégale et arbitraire du Monarque de Tunisie et à son exil forcé, les journaux français, l'opinion publique française et des hommes politiques de diverses tendances, des libéraux, des républicains, des socialistes et des communistes… n'ont pas manqué de réagir et de dénoncer cette dérive et cette grave injustice, dont le monarque tunisien a fait l'objet et qui n'est pas à l'honneur de la France, bien au contraire. C'est alors que le Gouvernement français de l'époque a envisagé son retour d'exil et de tenter de trouver une solution, son successeur Lamine Bey étant déjà sur le trône. Quant au retour et le rétablissement de Moncef Bey sur le trône, le hasard et la destinée en ont voulu autrement. Alors qu'il était en bonne santé, le Monarque bien aimé tomba subitement malade en quelques jours et mourut brusquement à Pau. Des rumeurs sur son empoisonnement « par les pieds » ont couru, sans avoir été confirmées, sans qu'aucune enquête ne soit faite, sans qu'aucune analyse et autopsie ne soient faites. La nouvelle de sa mort fut accueillie par le peuple tunisien avec une profonde émotion, une grande tristesse et une vive consternation. A l'annonce du retour de France de la dépouille mortelle de Moncef Bey dans un navire de guerre français, en septembre 1948, des centaines, voire des milliers de Tunisiens, dont certains sont venus à pieds, des quatre coins du pays, du Nord, du Sud et de l'extrême Sud Tunisien, pour lui rendre un dernier hommage. Toute la classe politique tunisienne, toutes tendances confondues étaient là pour l'accueillir, les militants, leurs leaders politiques et syndicalistes et à leur tête Farhat Hached, toutes les personnalités tunisiennes de l'ancien et du vieux Destour, comme Salah Farhat, Mahmoud El Materi, les frères Mongi et Taïeb Slim, Hédi Chaker… les indépendants et les représentants de toutes les classes sociales, des ouvriers, des paysans, agriculteurs ou autres, l'homme de la rue et tout un peuple étaient là… les rues et les avenues étaient noires de monde lorsque son cercueil toucha le sol dans le port de Tunis – Marine. Craignant des manifestations dans la capitale, les autorités du protectorat français ont strictement empêché le cortège de prendre l'ex-Boulevard Gambetta, (actuellement Avenue Mohamed V) et l'ancienne avenue Jules Ferry, (actuelle Avenue Bourguiba), contraignant coûte que coûte le long cortège mortuaire à prendre directement le Boulevard qui porte aujourd'hui son nom, à savoir le Boulevard Moncef Bey. Même dans son cercueil, le monarque nationaliste inquiétait les autorités coloniales. Même le Général Juin futur Maréchal de France, alors Résident général de France en Tunisie, a regretté dans « ses mémoires » « l'injustice faite par les Français au souverain nationaliste tunisien, reconnaissant s'être trompé à son sujet », étant à noter que lors de sa destitution, Moncef Bey, eu cette réplique : « en tant que monarque tunisien, je ne dois rien à la France, la dynastie beylicale existant bien avant le protectorat français. Seul le peuple tunisien souverain peut me contraindre à démissionner et me destituer ». Nombreux sont ceux qui pensent que Moncef Bey qui est une des plus grandes figures du nationalisme tunisien, fut un monarque « républicain » aimé de son peuple. Ce qui nous incite à lui rendre un double hommage pour sa lucidité, son courage, sa bravoure, son dévouement à sa patrie, à son peuple et pour son ultime sacrifice, pour que vive la Tunisie digne, souveraine et indépendante, Peu d'hommes politiques tunisiens ont bénéficié des marques aussi fortes d'attachement, d'amour, de reconnaissance et les honneurs du peuple tunisien à titre posthume, s'en souvenir et commémorer son exil forcé dans l'extrême sud algérien en septembre 1945, est sans doute la meilleure façon de rendre un vibrant hommage à ce monarque populaire et nationaliste, qui selon ses proches rêvait d'une République. K.M.T