Recueillis par : Sayda BEN ZINEB - Interview du professeur Mohamed Zinelabidine, chargé de l'unité de gestion par objectifs de la Cité - Chargé de mission auprès du cabinet du ministre de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine (depuis septembre 2008), Professeur Mohamed Zinelabidine est directeur général du projet de la Cité de la Culture, (Unité de gestion par objectifs). De par son profil riche, il assume plusieurs tâches et fonctions ; directeur du laboratoire de recherche «culture, nouvelles technologies et développement», directeur de l'Institut supérieur de musique et de musicologie de Tunis, chercheur à l'Université de Paris I Sorbonne - Panthéon... Choisi en 2009 Personnalité culturelle méditerranéenne par l'Académie Italie-Tunisie pour le développement culturel en Méditerranée, Zinelabidine est également directeur-fondateur de l'Institut Supérieur de Musique et musicologie de Sousse où il a introduit pour la première fois en Tunisie, les technologies du son, les arts lyriques et scéniques. Interview. Le Temps : La conception du projet de la cité de la culture a germé en 2002; le premier coup de pioche en 2002 ; le projet de construction a été lancé en 2006 ; la fin des travaux fut initialement prévue pour la première moitié de 2009… Où en sommes- nous actuellement ? Mohamed Zinelabidine: la responsabilité du bâtiment et de l'équipement revient au Ministère de l'Equipement; le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine en assume la responsabilité relative à l'exploitation et à la définition des pôles artistiques et commerciaux qui relèvent des stratégies politiques et culturelles définies dans le cadre des programmes présidentiels quinquennaux. Je me permettrai de revenir sur l'avancement d'un projet qui de toute façon, ne peut pas éviter quelque retard dû essentiellement à son gigantisme, à la difficulté de son entreprise, à la disparité de ses secteurs artistiques référentiels, et je me permettrai de dire aussi, que cela est inhérent à la plupart des mégaprojets dans le monde, tels Beaubourg, l'IMA, Kennedy Center, la Maison des Cultures du Monde et l'opéra du Caire…Tous ont connu des retards de planification et de réalisation. On comprend mieux dès lors qu'un tel projet était lui même assujetti à ce type de réalité et de difficulté. Cela dit, nous sommes réellement à la dernière ligne droite car la volonté présidentielle a inscrit l'inauguration de ce projet dans une période très proche, ce qui serait de bon augure pour une exploitation imminente ou proche. *Le projet est gigantesque mais la réalité culturelle dans le pays sera t- elle au niveau de tous ces investissements ? Autrement dit, quelle Culture pour la cité de la Culture ? Je crois que la vocation de la cité de la culture est justement de contribuer à l'évaluation de l'existant en même temps que sa perfectibilité. Le plus important est que la cité de la culture dans son projet initial, est en train de pallier certains manques structurels et structurants dont on peut citer le pôle national de l'opéra et des arts scéniques qui devrait porter un véritable projet pour les artistes et les créateurs en terme de musique, théâtre, danse, art lyrique… etc…Ensuite, le pôle du musée des arts modernes et contemporains qui devrait permettre de conserver les réserves de l'Etat en terme d'art plastique et de promouvoir le travail des artistes dans le cadre des différentes galeries d'exposition qui y sont réservées. De même que la bibliothèque qui viendra combler ce manque relatif à une mémoire cinématographique et visuelle qui aura enfin son lieu de connaissance, sans compter les différents centres de recherche en art, technologie, développement, éveil artistique dont la finalité est de rendre le rapport entre artistes, intellectuels, chercheurs, opérateurs…tout à fait possible autour de ce lieu de partage et d'action qui est la cité de la culture sans omettre bien sûr, que cette cité dans son projet présidentiel, entrevoit de vivifier le tourisme culturel à travers les différents espaces avoisinants qui seront à la fois créatifs, récréatifs culturels et touristiques. De cette mouvance en terme d'opportunité, de possibilité et d'entreprise, la cité de la culture s'érige sans doute en un élément fédérateur des bonnes volontés pour un essor véritable de la vie culturelle faisant agir à la fois, les secteurs publics et privés. C'est la raison pour laquelle elle exige une gestion à la hauteur de ses ambitions. De même qu'elle interpelle en amont les possibilités d'évaluation et de réhabilitation des structures existantes pour que cette cité ne soit pas une exception dans le paysage culturel mais un véritable terrain de complémentarité d'échange et de renforcement pour l'ensemble des paramètres actifs de la culture tunisienne . A titre d'exemple, nous sommes en train de travailler depuis deux ans sur la redéfinition des secteurs artistiques à travers le rendement de quelques structures nationales en l'occurrence, l'orchestre symphonique, le centre national de la danse, le projet national du théâtre lyrique et la prise en charge de l'art de l'opéra… c'est à ce titre également que nous sommes en train de former dans les secteurs de la technique artistique ( son ,lumière, régie, vidéo, ) où il y a une véritable attente, un réel besoin ; C'est pour dire que la cité de la culture, ce projet présidentiel inédit vient à point nommé pour préparer l'avenir et redéfinir une stratégie que le ministère de la Culture développe depuis quelques années dans le cadre de la réhabilitation des secteurs artistiques en général. *Quel rôle pour la critique aujourd'hui dans le cadre de ce projet? il est sans doute vrai que la création artistique n'est pas de la seule responsabilité de l'artiste. Autant l'artiste est engagé, autant sa création elle -même est engageante dans ce sens où sa crédibilité tient au fait qu'elle soit reçue, perçue. La médiation, la critique, l'information …sont autant de vecteurs de promotion pour l'art qui ne sont pas seulement dans le reflet ou dans le miroir de cette création par rapport à un public. Bien plus, la critique, la communication à mon sens, sont elles- mêmes création de valeurs, de repères. Il est primordial que les artistes, que l'administration culturelle voient dans le secteur de la communication culturelle une autre forme de création artistique sans laquelle la culture n'aurait aucun sens. C'est une autre forme d'écriture, de regard. C'est la raison pour laquelle la cité de la culture devrait compter également sur la prévalence d'un secteur aussi important que la communication qui n'agit pas seulement dans le cadre de la promotion des activités mais aussi, dans la précision des objectifs stratégiques artistiques des contenus créatifs dans les pays les plus développés. C'est à ce titre que la critique a toujours été ressentie. Ce n'est pas un complément d'information, mais un vecteur d'expression et de renouveau pour l'art et la culture. *Vous chapeautez l'Unité de gestion par objectifs de la cité de la culture qui a achevé le pilotage de l'étude relative aux meilleurs modes de gestion de la cité…Pourriez-vous nous en dire davantage ? les Unités de gestion par objectifs sont des structures provisoires et temporaires qui ont pour mission, des stratégies identifiées. La première mission a été de piloter une étude relative au mode de gestion de cette cité. Parallèlement, la préfiguration et la réalisation d'un certain nombre d'entreprises en terme de besoin en ressources humaines, en projets culturels, en évaluation des structures culturelles, en exercice. De ce fait, l'unité est elle -même évaluée dans ce sens où elle a atteint ou manqué ses propres objectifs qui sont limités dans le temps et c'est important car c'est une idée novatrice pour l'administration qui est redevable de résultat, de réalisation et d'acquis dans une période limitée. Maintenant, cette même unité a fini et finalisé ses études et s'apprête à d'autres missions qui sont l'ouverture de la cité et l'exploitation de ses espaces artistiques et commerciaux, toujours avec cette même idée référentielle du résultat de l'efficacité et de l'évaluation. Cette notion d'Unité est générale à tout le ministère et préfigure l'installation de formes permanentes de statuts juridiques puisqu'on est en charge aussi, de faire des propositions relatives à la forme juridique comptable et gestionnaire qui sera employée pour la mise en exploitation de la cité de la culture. C'est l'esprit même qui découle de ces Unités dont la vocation et le travail consistent à créer de grands projets , ici en l'occurrence, la cité de la culture. *Les 50 heures de musique organisées du 26 au 28 juin dernier au Centre culturel international de Hammamet, ont été une réussite malgré le peu d'affluence du public qu'on aurait aimé voir plus présent… nous avons tout fait pour que ce travail ne soit pas très public pour des raisons évidentes qui sont que nous n'étions pas encore au point de pouvoir présenter notre travail au public . Nous avons choisi plutôt de le présenter à un public de journalistes, informateurs critiques pour en saisir les appréciations, commentaires et rectifications et il y a beaucoup à faire. On ne pouvait pas risquer un travail préparatoire voué au grand public car il était tôt de le faire. C'était des ateliers publics, des performances ouvertes plutôt que spectacles finis. D'ailleurs, nous en avons tiré plusieurs enseignements relatifs à la nature et au contenu de certains programmes, ensuite , aux difficultés techniques en son et lumière. J'aimerais insister sur deux idées qui ont fait la réussite des 50 heures… D'abord , le concours des meilleures voix d'opéra , une première en Tunisie dont nous récoltons les fruits d'un travail de dix ans puisque la première formation d'opéra s'est faite depuis une décennie, ce qui nous permet maintenant de pouvoir entrevoir toute une stratégie de prise en charge des contenus artistiques de l'opéra en Tunisie. Nous avons un vivier de 70 chanteurs d'opéra et cela ne fait que commencer, de quoi rendre la perspective d'un théâtre national lyrique envisageable. Le deuxième point ; la qualité de certaines musiques tunisiennes présentées par des jeunes quoiqu'on en dise , quoiqu'on en pense relativement à la réalité de ce secteur en Tunisie qui reste controversé. Cela tient bien plus du choix et des programmes voulus que d'un sentiment général qui prévaut actuellement chez certains, préférant dire que la musique tunisienne passe par des difficultés. 50 heures, aura été un événement qui a démenti cela. Il était à mon sens impératif de faire le travail que nous avons assuré pendant les deux dernières années, à savoir la formation des formateurs en art lyrique, pratique, instrumental, technique avec des encadreurs d'un haut niveau et d'une manière périodique pour assurer une formation continue, aux USA, France, Belgique, Roumanie, Bulgarie, japon…Cela nous a permis en même temps, de présenter notre travail dans plusieurs régions : Gafsa, Gabès, le Kef, Sousse… qui ont eu pour la première fois, l'occasion d'assister à des concerts d'opéra en même temps que des ateliers ouverts au public. Comme aboutissement à ces stages, concerts et rencontres, il fallait un moment fédérateur pour présenter notre travail et les équipes qui l'ont mené sur des situations de terrain et de ce point de vue, 50 heures de musique a été l'occasion d'un travail collectif entre artistes techniciens, administration. Il faudrait sans doute refaire cette initiative pour parfaire le travail et mesurer les difficultés qui peuvent se poser demain en terme de gestion de la cité de la culture.