L'Egypte a toujours constitué à toutes les époques un modèle réduit de l'évolution des pays arabo-musulmans, et un baromètre aussi bien des possibilités réelles de cette évolution que de ses limites. Ce pays immense par son Histoire millénaire et sa culture a été presque toujours à l'avant-garde des idées nouvelles dans le monde arabe. De Mohamed Ali à Tahtawi au Cheikh Mohamed Abdou, qui soit dit en passant a visité la Tunisie par deux fois au début du 20e siècle, l'Egypte cette « Oum Addunya » (La mère de l'univers) a été de tous les combats pour les idées libérales et la modernisation tout en préservant jalousement son identité arabe et islamique grâce à la grande université d'El Azhar. De ce fait elle a toujours vécu les flux et les reflux d'un appel tantôt au réformisme modernisateur, tantôt aux traditions conservatrices. Mais globalement aussi bien la société que le système politique, ont été marqués par une grande tolérance très perceptible d'ailleurs dans le mode de vie joyeux et optimiste des classes populaires égyptiennes. La modernisation prônée et pratiquée par Nasser a été rattrapée par un ramollissement conservateur mais libéral de Sadate qui a eu le mérite, encore une fois, de libérer son pays de l'occupation israélienne et d'installer l'Egypte dans une ère de paix durable depuis 1973. Le pouvoir actuel a eu la chance de pouvoir construire sur cette bonne base mais aussi de compter sur des découvertes de pétrole et de gaz, significatives, qui ont bien soulagé la pression vécue au quotidien par 80 millions de personnes autrefois bien démunies. Du coup les progrès économiques réels enregistrés par l'économie égyptienne n'ont pas manqué de créer une sorte d'appels, ce que la science politique américaine appelle « Demands » ou exigences au niveau politique et institutionnel. Les Egyptiens des classes moyennes sont plus promptes, aujourd'hui, qu'auparavant à demander une amélioration constante de leurs conditions de vie par une augmentation du Smig à 1200 jenih égyptiens, l'équivalent de 250 dollars, et la protection du pouvoir d'achat. A ce sujet le pouvoir judiciaire en légitimant cette aspiration par une décision du tribunal semble évoluer vers une plus grande indépendance vis-à-vis de l'exécutif. Côte institutionnel, l'Egypte est engagée dans la voie pluraliste et multi partisane mais avec une certaine prudence. Le pouvoir en place a peur d'emballer la machine, estimant que la société n'est pas encore suffisamment mûre pour digérer le mode de la démocratie libérale à l'occidentale et qu'il faut ménager les étapes pour éviter les dérapages insurrectionnels ! De fait le grand problème qui se pose à l'Egypte, comme c'est le cas dans plusieurs pays de la région, c'est ce qu'on désigne par la « menace » islamiste radicale qui ambitionne de changer la nature du système politique mais aussi le mode de vie et le modèle de société ouvert et tolérant de l'Egypte. La question des « frères musulmans » a toujours été problématique dans ce pays. Parfois « alliés » du système et parfois ses adversaires et même ses « ennemis », l'Egypte est confrontée depuis bientôt deux siècles à cette lutte permanente entre la modernisation et la tradition portée et alimentée par la politisation de la religion ! Malheureusement la doctrine n'aide pas beaucoup à élucider le phénomène. Les patrons de la science politique moderne, encore une fois des Américains (dois-je m'en excuser !), Gabriel Almond et Bingham Powel pensent que l'évolution vers le modèle démocratique et libéral occidental ne peut se faire dans les pays musulmans, que par l'affaiblissement de la « Tradition » et la rationalisation de la Religion, ce qui a pour conséquence de favoriser la différenciation structurelle et l'autonomie des institutions par rapport au pouvoir central dominateur. D'autres penseurs plus engagés pensent le contraire ! L'Egypte est ainsi condamnée à travers sa propre voie. Pourvu qu'elle soit pacifique et puisse préserver le charme extraordinaire de ce beau pays et sa joie de vivre éternelle ! K.G.