Par Khaled Guezmir - La question est chargée d'un voile difficile à pénétrer ! Voilà un pays bien peuplé avec plus de 80 millions d'êtres humains avec des ressources plutôt limitées comparativement aux besoins urgents de la quotidienneté, une histoire médiévale qui pèse encore sur les mentalités et les comportements sociaux et des politiques de modernisation récentes hétéroclites parfois apparentées au dirigisme d'Etat et parfois libérales et capitalistes. L'environnement intra-sociétal est déjà difficile à cerner, l'urbanité gonfle et les villes sont prises d'assaut par une exode massive difficile à canaliser. Mais l'Egypte a aussi des atouts non négligeables. Son peuple est travailleur et industrieux et surtout doté naturellement d'une capacité de résistance et d'adaptation légendaire. Le petit « fellah » égyptien est connu pour sa bravoure et sa patience face aux aléas de la nature. L'Egypte est un don du Nil ce qui peut lui assurer une autosuffisance alimentaire non négligeable par ces temps de sécheresse chroniques, mais elle est aussi un don d'une civilisation millénaire nourricière en devises et impérissable : celle des Pharaons. Le Canal de Suez assure quant à lui des royalties permanentes au budget de l'Etat, auxquelles il faut ajouter la découverte, du pétrole et du gaz. Enfin l'Egypte dispose d'une colonie nombreuse dans les pays du Golfe mais aussi un peu partout en Europe et en Amérique, qui reste attachée à la mère patrie et qui lui assure le transfert d'économies importantes en devises. Mais ce qui est encore plus déterminant dans l'équilibre du système social et politique en Egypte c'est son évolution pro-occidentale depuis « Camp David » et Anouar Sadate. Le « Raïs » héros de la guerre d'octobre, libérateur du Sinaï, a eu le courage de faire la paix avec Israël et de mettre l'Egypte pour longtemps en orbite dans la périphérie américaine. Sadate a compris qu'en matière d'alliances, seule l'Amérique est crédible ! Nasser et les autres leaders arabes voisins ont fait les frais de leur mauvais choix en la matière : l'Union Soviétique. Pourquoi l'Amérique parce qu'elle est plus interventionniste surtout quand ses intérêts stratégiques sont en jeu! Il suffit par conséquent d'être dans l'équation pour pouvoir compter sur elle ! Le Président Moubarak a hérité de cette démarche et les réalités régionales et mondiales l'ont encore plus amarré, et l'Egypte avec lui, à l'Amérique et son principal allié Israël. Moubarak est acculé à composer tout le temps avec cet environnement explosif ! Tel un trapéziste, il doit tanguer sur le fil entre les devoirs de la solidarité arabe et musulmane chère aux classes populaires égyptiennes et très vive dans leur subconscient, et la nécessité d'immuniser l'Egypte contre de nouvelles guerres dévastatrices avec Israël ! De toutes les façons la majorité du peuple égyptien s'oppose au retour à des rapports conflictuels armés avec Israël et l'Amérique, parce que l'Egypte a payé au prix fort ses choix précédents du temps de Nasser et parce que la paix lui a été bénéfique malgré tout. Dans cet environnement, bien compliqué, ce système politique est obligé de se positionner entre la nostalgie de la tradition conservatrice et les exigences de la modernité ! Celle-ci est portée à l'évidence par les appels de la démocratie libérale, pluraliste et multi-partisane où les structures politiques sont autonomes et différenciées ! La présence au niveau de l'échiquier politique et des groupes de pression des puissants « Frères musulmans » aide-t-elle finalement le système à évoluer pacifiquement vers la consolidation de la démocratie libérale en Egypte, ou le pousse-t-elle, à se « protéger ». L'histoire de l'évolution de la démocratie libérale nous enseigne que celle-ci ne peut se faire avec les menaces de rébellion ou de violences dans la rue. Les systèmes politiques ont besoin d'être rassurés pour accepter de se défaire de certaines prérogatives liées à l'exercice du pouvoir. Revenons un peu à l'éclairage de l'histoire de la « mère » des démocraties : la Grande-Bretagne. Son évolution vers la démocratie libérale a été depuis 1215 et la charte du roi « Jean Sans terre » jusqu'à l'adoption du Bill of Rights en 1689, le flux et le reflux entre la nécessité de sauver la pérennité de l'Etat et de la Monarchie à l'époque et la montée en puissance du Parlement en tant que législateur mais aussi comme organe de légitimation et de désignation des gouvernements. La recette est universellement consacrée et tous les systèmes démocratiques dans le monde ont suivi le même cursus. Si le Parlement égyptien est aujourd'hui monocolore, à qui la faute ! A la menace des frères musulmans qui veulent changer le modèle de société en Egypte ou au système qui n'est pas encore mûr pour accepter l'évolution ! La transition est toujours fragile et périlleuse :