Par Khaled Guezmir - La création de nouveaux partis politiques va à la hausse après un sevrage de plus de 23 ans et des lois contraignantes et prohibitives on va vers une prolifération naturelle et prévisible. Mais dans ce nouveau « marché » de la mécanique politique, toutes les machines ne se valent pas et le jour « J » la décantation se fera d'elle-même ! Pour revenir aux choses sérieuses nous pouvons dès à présent retenir trois courants majeurs qui vont être déterminants dans la configuration future de l'assiette politique – pour être fidèle à notre titre ! Le premier s'apparente au mouvement « Ennahdha » et ses nombreuses périphéries et familles qui peuvent aller des salafistes radicaux aux islamistes modernistes et libéraux. Une cassure entre les extrêmes est d'ailleurs prévisible, mais Ennahdha bénéficie d'un leader charismatique et fédérateur le Cheikh Rached El Ghanouchi. Sa longue carrière militante et de combat contre la dictature mais aussi contre l'obscurantisme doit le situer en principe au centre du mouvement ce qui lui donne une bonne marge gravitationnelle et de mobilisation. Cette même expérience lui permet aujourd'hui une certaine maîtrise du discours politique, porteur, par des idées simples et une expression fluide reflétant une certaine aisance et même de l'assurance. Pour ma part je considère que son long séjour en Grande-Bretagne, la mère des démocraties parlementaire lui a fait le plus grand bien ! Il a vécu de près les mécanismes d'un pays libéral authentique, stable et serein depuis la Reine Victoria et qui constitue la « maison » des exilés de tous les pays de la terre même ceux qui sont en opposition avec ses idéologies politiques et sociales. C'est cela le génie de l'Angleterre qui a influencé par ailleurs toutes les révolutions occidentales de l'Amérique en 1776 à la France en 1789. Mais peut-on s'aventurer jusqu'à croire que M. Rached El Ghanouchi est en passe de devenir le « Voltaire » ou le « Montesquieu » de la Tunisie et du monde arabo-musulman, sachant que ces deux éminents philosophes français, qui ont imprégné la grande révolution française, ont eux aussi connu l'exil en Angleterre ! Je suis tenté de dire d'abord : pourquoi pas, en attendant de voir l'évolution sur le terrain ! Voltaire,, l'un des plus brillants philosophes des lumières était « déiste » mais aussi « laïc ». son influence est telle que l'on parle aujourd'hui en Europe et dans tout l'Occident chrétien d'une « Eglise laïque » et d'un christianisme « Laïcisant ». Au demeurant il a été l'un des rares penseurs à défendre l'Islam ! Montesquieu le père de la « séparation des pouvoirs » après John Locke a été aussi l'un des piliers du système libéral politique occidental. Les nombreuses déclarations en ce moment de M. Rached El Ghanouchi reflètent l'influence de l'école britannique et française sur la tolérance religieuse et la démocratie. C'est même impressionnant de l'entendre dire que les mosquées doivent être séparées de l'Etat. S'il est sincère et il n'y a pas de raison pour ne pas le croire, je pense qu'il évolue d'une manière parfaite et significative vers l'expérience occidentale de la séparation de la religion et de l'Etat. Le mouvement « Ennahdha » pourrait être à l'avenir ce que la démocratie chrétienne a été pour l'Italie ou l'Allemagne ! Mais le chemin pour la refonte idéologique du mouvement reste long car il doit opter douloureusement, peut être, pour une rationalisation de la religion à l'instar du modèle turc. La science politique américaine avec des auteurs comme Gabriel Almond et Bigham Powel suggère, en se basant sur des expériences comme l'Iran ou les pays du Golfe, que la démocratie libérale politique occidentale ne peut être effective dans les pays musulmans sans un certain « recul » de la tradition religieuse, d'où la nécessité de rationaliser la religion et surtout la séparer et de la politique, et de l'Etat. C'est l'évolution de la chrétienneté vers une certaine « laïcité » et la séparation de l'Eglise avec l'Etat qui a permis l'édification de la société démocratique occidentale. L'évolution dans ce sens du mouvement « Ennahdha » pourrait être une première dans le monde arabo-musulman surtout après l'échec du modèle iranien. A mon avis la société civile devrait encourager le Cheikh Rached El Ghanouchi dans cette œuvre de rénovation de l'Islam politique au lieu de la diaboliser. Après tout, la Turquie ne se porte pas plus mal avec Erdogan qui fait une percée économique et politique remarquable. Le temps est peut-être venu de prendre les gens et les mouvements politiques pour ce qu'ils sont et non pour ce qu'ils ont été ! Avec bien sûr la prudence et les garde-fous à toute évolution imprévisible. La démocratie c'est cela aussi !