Inutile de rappeler les objectifs quantitatifs et qualitatifs de l'actuel plan de développement (2007-2011) qui tablent essentiellement sur la création de 70000 entreprises, la réduction du taux de chômage de 4 points de pourcentage et la création de 412 mille postes à même de couvrir 97% des demandes additionnelles d'emploi. Et pour la concrétisation de ces objectifs, la Tunisie joue la carte de l'investissement en mobilisant davantage d'Investissements Directs Etrangers (IDE). L'objectif étant de répondre aux demandes additionnelles d'emploi estimées à 88 mille par an. Mais quels types d'emploi, offrent les entreprises étrangères à nos demandeurs d'emplois ?
Malgré la répartition inégale entre les secteurs, l'année 2006 s'est achevée haute en couleurs en matière d'IDE. Les IDE ont atteint le montant record de 4,4 milliards de dinars, soit en hausse de 320% par rapport à l'année 2005. Ces investissements ont généré plus de 270.000 emplois dont plus de 240.000 emplois dans les industries manufacturières. Plus de 130.000 postes ont été créés dans le secteur du textile-habillement, soit près de 49% du total des emplois créés dans l'industrie. D'où la question sur les qualifications de la main-d'œuvre mobilisée par les entreprises à participations étrangères implantées en Tunisie. Les industries manufacturières et plus particulièrement le secteur du textile-habillement embauchent, généralement une main-d'œuvre abondante, à bas prix, ayant un niveau d'instruction faible voire élémentaire. Et c'est la raison même qui encourage les grandes firmes de délocaliser une partie ou la totalité de leurs activités de production sur le site tunisien. Une stratégie gagnante pour les firmes délocalisantes, qui leur permetde réduire leurs coûts de revient, d'améliorer leurs chiffres d'affaires et de gagner du terrain. Sans pour autant généraliser et entrer dans les détails. Les investisseurs étrangers sollicitent quand même davantage de flexibilité du travail et de droit de travail en Tunisie. Ils demandent encore plus d'efforts en matière de maîtrise du coût de la main-d'œuvre et des charges sociales.
Mais qu'en est-il des investissements directs étrangers dans les services ? Près de 9000 emplois ont été créés dans les services, soit 3,3% du total des emplois créés en 2006. Une part infime qui ne reflète pas le nombre en crescendo des demandeurs d'emplois et des diplômés de l'enseignement supérieur dans les secteurs des services (services informatiques, télécommunications, études et conseils, architectes, ingénieurs...). A signaler que le nombre des diplômés du supérieur devrait atteindre 390 mille à l'horizon 2011. Il est difficile d'admettre que les compétences tunisiennes ne puissent pas répondre aux exigences et aux qualités demandées par les firmes étrangères. .D'autant plus que les efforts se conjuguent pour adapter la formation académique aux besoins du marché du travail. Mais force est de constater que les investissements des entreprises étrangères se concentrent essentiellement dans les centres d'appel ou les « call center ». Lesquels ont généré plus de 5000 emplois, soit 55,55% des emplois créés dans le secteur des services. Les centres d'appels prolifèrent partout en Tunisie, faisant gagner plus d'argent à leurs firmes délocalisantes à partir essentiellement de la France vers la Tunisie. Le coût concurrentiel et compétitif des compétences humaines reste le principal alibi des entreprises mères. Il ne faut pas nier que les centres d'appel ont permis tout de même de résorber les demandes d'emplois, notamment celles des diplômés du supérieur, qui se trouvent en chômage sans sources de revenus et;qui ne trouvent pas d'autres issues que de s'adresser aux centres d'appel. Les centres d'appel n'exigent pas de hautes qualifications, de grands savoirs et savoir-faire. Ils conditionnent principalement une parfaite maîtrise de la langue française. Un travail qui consiste à exécuter des tâches (recevoir les appels) bien précises et répétitives. Ça nous rappelle un peu, l'ère du taylorisme*, du robotisme et du travail à la chaîne. Par ailleurs, certains disent que les centres d'appel paient bien, d'autres pensent le contraire.
Une manière de gagner de l'argent, mais à quel prix? Un collaborateur tunisien dans un « call center » nous a fait part de ses doléances. « Nous travaillons, 10 heures par jour. Les rémunérations, différent selon le poste. Mais, nous croyons savoir qu'il y a des,( abus de pouvoir. Certains sont en train de'' leurrer le logiciel de traitement des heures de travail et des rémunérations au détriment d'autres personnes, sans parler des inégalités de rémunération : un conseiller clientèle touche 380 dinars en-Tunisie contre 1600 euros en France ». Malgré leurs avantages en tant que source principale de création d'emplois dans le secteur des services par les entreprises étrangères, les centres d'appels nous rappellent les écoles de Taylor et de Ford. Il est vrai que les objectifs tablent sur la réalisation de 8 milliards de dinars au terme du 11 ème plan à même de contribuer à la réduction du taux de chômage, mais nous espérons un accroissement des investissements dans les services nécessitant une main-d'œuvre qualifiée et à haute valeur ajoutée.
YosrGUERFEL
* Le taylorisme est une méthode de travail qui tire son nom de l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915). Cette méthode repose sur une division du travail en tâches simples et répétitives individuellement optimisées et sur le paiement des employés au rendement (mesuré au nombre de pièces et avec l'aide du chronométrage). Taylor connut une grande réussite dans la sidérurgie car il formalisa sa méthode dans un livre intitulé The Principles of Scienlific Management (1911, version anglaise en ligne). Ce système ne doit pas être confondu avec le fordisme, procédé de travail à la chaîne Henry Ford fut l'un des premiers à mettre en œuvre, et auquel le taylorisme constitue une composante.