A la galerie El Teatro il y a encore sur les murs, l'exposition de photographies, production de la résidence photographique dont j'ai assuré la direction artistique. 10 photographes femmes, certaines confirmées, d'autres encore dans les prémices de l'art, ont promené leurs regards dans la ville, le sujet : « La femme en Tunisie ». Le genre féminin se penche sur le genre féminin loin des généralisations communes qui banalisent le sujet traité. Même s'il n'y a pas de sujet banal dans la création. Tout est affaire de regard. Exploration de lieux clos comme le Hammam, Rania Maroun la jeune photographe libanaise plusieurs fois primée, nous met face à plusieurs discours par une esthétique des plus poignantes. Le silence de la femme dans les brumes du bain maure. Elle s'autophotographie loin de tous les traumatismes imposés par le discours dominant à l'extérieur. Intérieurs aussi, a choisi Rim Temime, photographe tunisienne qui rencontre les différentes communautés étrangères de Tunisie. Quelle fraîcheur dans ses portraits, quelle respiration dans cette réconciliation des identités. Madame Cohen, Madame Rose, Madame… l'irruption de la différence qui se raconte dans l'invitation de l'altérité. Car l'altérité est quand même bien au cœur du travail. Ambiguïté sexuelle, frontière des genres, mi-monstres, mi-femme, mi-enfant, mi-homme, Sélima Karoui continue le travail expérimental qu'elle entreprend sur le visage de l'autre. Plus académique demeure le travail de photographe Ons Abid, reporter habituée à un monde qui bouge. De la pêcheuse de Kerkennah sans âge à la doyenne de Takrouna, Ons Abid pose un regard d'amour sur les femmes de son pays. Un cadrage des plus doux qui convoque et l'espace et le sujet dans une totale harmonie. Complicité extraordinaire avec ses sujets, la photographe palestinienne Ahlem Shebli, a choisi deux femmes mal-voyantes, la cantatrice Alia Sellami et la physiothérapeute Kaouther. Gestes du travail, gestes du quotidien au théâtre ou à l'hôpital, la photographe fait des lieux, des espaces de survie où chaque personne est célébrée. Le corps devient visage, le visage devient corps. Stella Bolonski, photographe grecque suit durant quelques jours, la photographie. Témoin d'une génération, Aïcha raconte l'histoire des femmes de son pays, piégées dans les confusions identitaires. Stella Bolonski s'approche très près du visage et met à la lumière le lieu de l'intime, dans les yeux, d'une femme justement par la force des gros-plans. Car le photographe va toujours au-delà du simulacre et fait apparaître les non-dits et les secrets de toute une société. Face au refus de certaines femmes d'être photographiées de face, Julie Einrich photographe allemande a fait le choix de les prendre de dos. Cadres serrés avec un polaroïd, les visages de dos racontent toute une histoire par les cheveux, les foulards, les plis du dos, les replis des vêtements. Coloré à souhait, elle s'approprie ainsi une des images de la femme tunisienne, des femmes tunisiennes. Anecdotes demeurent les photos de Sophia Baraket qui focalise son regard sur une voile, une bague, le pli de l'entre-seins en associant des jeux de mots… crise de foi (e) ! L'installation est un véritable exercice de style comme le travail de Rania Warda qui joue sur les chaussures des femmes selon leur statut professionnel ou la talentueuse graphiste Nebras Charfi qui crée une chorégraphie où elle modèle à souhait les visages. Anna Grandun du Portugal, est partie d'un vieux guide touristique sur la Tunisie et extrait des phrases des portraits figés pris dans la ville. La multiplication sérielle offre un travail sociologique très intéressant. Ces artistes ont pendant 5 jours puisés ainsi dans le réel les petits drames, les enthousiasmes communautaires, les différents visages de l'altérité. Cette résidence s'est inscrite dans la semaine « ces F… respectueuses » organisée par Zeyneb Farhat qui dirige El Teatro, semaine qui a vu aussi pièces de théâtre, débats, films… L'exposition de photographies devrait se prolonger dans un livre.