Si le théâtre est un miroir de la société, le one women show « Ija wahdek » se justifie pleinement. Les nombreux spectateurs qui ont, mercredi soir, suivi le spectacle à Ibn Rachiq, s'y étaient indéniablement reconnus : les hommes et les femmes en couples tout comme les adolescents des deux sexes, maris et épouses de demain. C'est que Rim Zribi a su, avec le texte de Jaleleddine Essâadi assez riche en trouvailles en dépit de quelques lieux communs, tendre à chacun d'eux une image de lui-même dont ils ont tous fini par rire. Et là, entre en jeu la fonction didactique du IVème Art : on espère bien avec « Ija wahdek »changer quelque chose dans la conception de la vie conjugale en mettant en scène les travers communs aux « conjoints » des deux sexes. Nous mettons conjoints entre guillemets parce que telle qu'elle est souvent vécue sous nos cieux, la vie de couple a pour héros plutôt des «disjoints» qui vivent et consentent à vivre le mariage comme un divorce permanent. Ce n'est pas un hasard si Rim Zribi s'appelle Radhia (consentante) sur scène. Quant au nom de son mari, « Wadii », il est antiphrastique : les mêmes fiancés, « doux comme des agneaux », se transforment, une fois titularisés au poste de « maris », en monstres carnassiers qui vous dévorent jusqu'à l'os leurs « innocentes » moitiés. Méfiance là encore : celles-ci ne se présentent pas toujours en victimes expiatoires, et lorsqu'elles en ont l'occasion, elles broieraient volontiers leurs hommes et passeraient (pour ne pas dire « pisseraient ») bien sur leurs cadavres ! Dans ce jeu de masques, les rôles s'intervertissent allègrement au gré des rapports de force. On veillera néanmoins à poursuivre la comédie en société pour faire croire qui à son entente parfaite avec le « conjoint », qui à sa mainmise sur le foyer, qui encore à l'entière liberté et à la totale confiance accordées par l'être « chéri » ! La guerre des sexes est toujours là et, avec chaque nouvelle génération, elle gagne en intensité. Cela ne prête guère au rire si l'on se rappelle qu'en Tunisie, le nombre des cas de divorce ne veut pas descendre en dessous de 10.000 cas par an depuis bientôt une décennie ! Sans compter les innombrables divorces vécus au quotidien sous « le toit conjugal » ! Rim Zribi et toute l'équipe qui a écrit et réalisé « Ija wahdek » préfèrent pourtant traiter ce sujet dramatique avec humour et légèreté, en espérant comme déjà dit que le rire distant fasse que le Tunisien et la Tunisienne prennent conscience ensemble de l'urgence d'une réconciliation sur la base d'une mutuelle compréhension et d'un amour sincère réellement partagé. Si le théâtre contribue au bonheur des foyers, « Ija wahdek » mérite beaucoup plus que des applaudissements ! Badreddine BEN HENDA ---------------------- Les à-côtés du spectacle *L'assistance était majoritairement composée de femmes et de jeunes filles qui ont ri aux larmes chaque fois que Rim Zribi tournait en dérision le sexe opposé. Un peu moins quand l'actrice « croquait » quelques spécimens féminins ridicules. Mais à dire la vérité, le one women show fit rire tout le monde sans distinction de sexe ni d'âge, et ce durant près de deux heures. C'est incontestablement, le meilleur rôle comique de Rim ! *Le dépliant (était-ce un dossier de presse ?) remis à quelques spectateurs et qui renferme des éléments d'information sur « Ija wahdek » nous semble desservir le spectacle plutôt que le promouvoir. Nous visons surtout les commentaires et les extraits d'articles journalistiques qu'il contient et qui rendent trop sommairement compte de cette œuvre plus profonde qu'elle ne le paraît. *C'est désormais la mode du vocabulaire scatologique dans nos productions dramatiques ; de vraies surenchères sont organisées entre les auteurs pour être toujours plus vulgaires les uns que les autres. Tout y passe : urine, caca, pets et puanteurs compatibles, propos indécents à peine métaphorisés, évocations érotiques à la limite de la grossièreté etc. Bon ! Cela peut provoquer l'hilarité une ou deux fois ! Mais quand on en abuse, cela risque de répandre des relents de chiottes dans les théâtres et dans toutes les salles de spectacles. « A vos mouchoirs ! », recommande Rim Zribi au début de son one women show. Pourvu qu'on ne nous dise pas un de ces soirs : « A vos papiers hygiéniques !»