Nous n'avons pas tout aimé dans « Danse avec le singe », la toute dernière création d'El Teatro, dont c'était la première jeudi soir. Coproduite avec l'Office National de la Famille et de la Population (ONFP), cette pièce se veut une contribution à la lutte contre le Sida. En artiste accompli, Taoufiq Jebali traita le sujet à sa manière et s'attaqua à d'autres maux humains pires que le VIH dont on impute l'origine aux primates. Il mit en scène le «zoo», à peine déguisé, des descendants du singe et monta une vaste comédie jouée à toutes les échelles sociales par des « acteurs » experts en hypocrisie, en égoïsme, en flagornerie, en vénalité, en perversité, en roublardise, en lâcheté, en goujaterie, en infidélité, en trahison, en corruption, en vanité, en cupidité, et en toutes autres sortes de vices ! Le spectateur en rit, mais des indices récurrents lui rappellent que les dépravations jouées sur scène ne lui sont pas étrangères : chez lui, en lui, autour de lui, sévissent des maux profonds, insidieux, plus moraux que physiologiques, qui finiront par le miner, lui et ses semblables. L'unique décor de la pièce dénonce d'une fort belle manière les brèches multiples par où peut pénétrer le Sida social, politique, économique, culturel, national et international. On n'y reconnaît qu'une porte digne de ce nom, certes, mais des deux côtés de cette porte, ce ne sont pas les trous qui manquent. Drôle de protection, semble nous dire Taoufiq Jebali ! Notre maison est de partout vulnérable et nous continuons de croire qu'un « préservatif » à serrure et à blocus, en bois, en verre fumé ou en métal blindé, nous sauverait du péril. Une bonne pièce, mais pas la meilleure! « Danse avec le singe » est une pièce très drôle ; peut-on en dire autant du message qu'elle porte ? Les séquences les plus sombres (au sens propre d'abord) et les plus silencieuses sont paradoxalement les plus éclairantes : elles rompent la farce pour nous dévoiler son (ou ses) dindon(s) ! Entre autres, ces jeunes gens qu'on nourrit de rêves et de promesses fallacieux, ces peuples qu'on drogue de toutes les manières possibles, ces damnés qui meurent de malnutrition, de soif, d'absence d'équité et devant qui, l'on miroite les avenirs les plus radieux, ces nations faussement indépendantes et dont on berce (berne) les populations avec des mensonges « souverains». En filigrane, «Danse avec le singe » dénonce un monde sans amour, et qui justement contracte son Sida par défaut d'amour et non le contraire. L'amour, tout comme le singe, sortent blancs comme neige du procès dressé par Taoufiq Jebali contre sa société et contre l'humanité entière. Dommage que le rire ne soit pas toujours intelligemment arraché au spectateur , qu'on recoure un peu trop à la vanne scatologique ou pornographique sous prétexte de bousculer les tabous et les bienséances, que certains tableaux soient ou bien trop longs ou bien mal intégrés dans l'ensemble, que les calembours et les autres jeux de mots soient inégalement inspirés et drôles (ceux de la fin surtout, nous ont paru tirés par les cheveux !) Sinon, ça ne manque pas de trouvailles, et la performance des acteurs, tous des jeunes, fut exceptionnelle. Preuve qu'au Theatro Studio, les flemmards n'ont pas droit de cité. Dans l'ensemble, «Danse avec le singe» est une bonne pièce ; mais à dire vrai, ce n'est pas la meilleure création de Taoufiq Jebali !