Abdelhakim Zraïer, enseignant de son état, est depuis quelques années à la retraite, après avoir passé environ quarante ans dans l'enseignement, profession qu'il a exercée avec beaucoup d'abnégation et de dévouement. Le voilà qui s'adonne toujours avec la même verve et la même ardeur à la littérature et à la culture, produisant en peu de temps, cinq ouvrages. Le dernier-né est ce recueil de poésie en dialecte tunisien, intitulé « Rahik El Kalem » (Nectar de paroles). Ce n'est ni le langage bédouin qui rappelle le désert, ses tentes, ses chameaux et ses dunes de sable, ni le dialecte propre à une région particulière qui use d'idiomes spécifiques à telle ou telle tribu ou communauté. Loin s'en faut, Abdelhakim Zraïer s'exprime par un langage tunisien accessible et compréhensible de tous, des ruraux comme des citadins, car il est puisé dans notre patrimoine langagier populaire qui s'intéresse aux questions d'intérêt général touchant à toutes les préoccupations des gens. C'est la poésie populaire par excellence, en ce sens qu'elle s'occupe des phénomènes sociaux (le tabagisme, l'alcoolisme, les jeux du hasard, le stress, la tension artérielle, le diabète, le livre et la lecture…) , des difficultés économiques (chômage, fraude commerciale, l'administration, cherté de la vie…) qui se démarque de l'arabe littéraire et se rapproche de tous les jargons conventionnels que chacun de nous peut comprendre aisément sans aucun effort ni recours aux dictionnaires, comme c'est le cas dans la poésie classique. Peut-on dire que A. Zraier s'est spécialisé dans la poésie populaire, ayant déjà publié deux autres recueils dans ce genre poétique ? Loin s'en faut ! Car le poète a dans son palmarès d'autres livres écrits en arabe littéraire, classique où il a fait preuve d'érudition et d'éloquence. Mais il semble que le choix du langage populaire dénote d'une forte conviction chez le poète qu'il est plus aisé et plus pratique d'en user lorsqu'il est question d'aborder des thèmes relevant du vécu des gens et de leurs problèmes quotidiens. Ainsi, le message est transmis sans équivoque. Dans ce nouveau recueil, A. Zraïer va plus loin dans sa description et son analyse des problèmes socio-économiques des Tunisiens qu'il essaie de traiter sans ambages avec un style poétique humoristique très attrayant, si bien que le lecteur est porté à lire ce recueil d'affilée, sans se lasser. Ce recueil de 175 pages comporte 19 longs poèmes de thèmes variés. Les feuilles sont en papier épais et la couverture, conçue par Mohamed Jouou, est en carton lustré. Chaque poème est muni d'une illustration caricaturale qui rime avec le sujet traité en ajoutant une note de gaieté. Les poèmes sont précédés d'une préface écrite par l'écrivain et poète tunisien Jalal El Mokh. Les thèmes abordés sont tantôt sujets à des critiques acerbes, tantôt à des analyses objectives et minutieuses relevant d'une expérience personnelle ou vécue au sein de la société. Le tout est traité dans un style simple et comique où les mots, scrupuleusement choisis, s'enchainent et s'agencent dans un mouvement fluide et cadencé, comme une chanson. Dans « Si Bou El Ila » (Chef de famille), le poète brosse le portrait du chef de famille qui fait face à la cherté de la vie et dont le salaire ne lui permet plus de joindre les deux bouts. Le poème consacré à la cigarette, « Eddoukhane », est un appel pressant aux fumeurs pour qu'ils s'en abstiennent, vu les mauvaises conséquences du tabac sur la santé et le budget. « Eddabbouza » est un autre poème où il s'agit du portrait de l'ivrogne qui, à force de se saouler, devient un alcoolique invétéré. « El kmaar » (le jeu de hasard) est un poème qui porte sur ceux qui s'adonnent aux jeux de cartes, aux courses de chevaux et aux pronostics sportifs dans l'espoir d'un coup de chance qui ne viendra peut-être jamais. La fraude et la tricherie, deux phénomènes bien répandus chez nous, sont traités également avec le même ton humoristique dans le poème « El ghacha fnoun » (la tricherie est un art) où le poète met l'accent sur les pratiques illicites et exercées par les commerçants et les artisans malhonnêtes, dans tous les secteurs. Après s'être attaqué à tous les domaines sociaux qui présentent des défaillances flagrantes ayant des conséquences néfastes sur la vie du citoyen, le poète finit par un poème intitulé « El Hamhama », rendant hommage à la ville d'Hammam-Lif où il vit depuis l'âge de cinq ans ; un poème dans lequel il évoque les beaux souvenirs, faisant l'éloge de cette ville balnéaire, située entre mer et montagne et où il fait bon vivre !