Par Hechmi Ghachem - Enfin, il est là. Il n'est certes pas le premier à arriver parmi les exilés de haut standing qui daignent encore offrir leurs services au peuple tunisien mais il demeure quand même hors norme. Ce n'est pas un simple opposant à l'ancien régime mais un véritable chèque lourdement soldé pour d'éventuels passages d'ouragan à essuyer. Il a la stature des élus célestes et non celle de ceux bassement politiques. Cet homme que nous avions connu comme un indéchirable chèque contre la démocratie, l'émancipation et la modernité aux mains d'un parti dont le peuple de la révolution a ordonné la dissolution, se présente aujourd'hui comme un être modéré d'une affabilité extrême et c'est avec un sourire qu'on voudrait bien innocent qu'il annonce qu'il est là juste pour participer comme tout citoyen tunisien à la reconstruction du pays laissant à ses acolytes le soin de faire les déclarations qui s'imposent en de telles exceptionnelles occasions. Lui ne se présentera pas aux élections présidentielles. Est-ce fait uniquement pour mettre en confiance ceux qui ont une peur monstre de son retour ? A première vue, peut-être. Mais si l'on creuse un tout petit peu plus profondément, l'on se rendra rapidement compte qu'il est paré du titre de « Cheikh » qui l'élève au-dessus des mêlées. Ce n'est pas un simple humain mais un « Cheikh » et face à ce dernier, le titre de « président de la République » n'est qu'une fonction très ordinairement humaine pour ne pas dire platement sociale. La majorité des prophètes et des messagers de Dieu n'étaient-ils pas généralement des bergers. Le « Cheikh » n'est pas le gardien des étoiles mais celui de nos âmes. En toute civilité les sociétés modernes ne permettent que les seules appellations « monsieur et madame » et « Docteur ou professeur » quand il s'agit des fonctions liées au domaine des sciences. Pourtant le grand sauveur de la « Omma » de la perdition et des manigances et ruses du Diable (Maudit soit-il) ne dit rien qui prête à confusion ou qui puisse réveiller le moindre doute chez ceux qui se méfient de lui. Mais voilà un de ses proches collaborateurs qui glisse (pas du tout sournoisement) la phrase fatidique « Le mouvement Nahda » a été pour beaucoup dans l'éclosion de la Révolution tunisienne ». Cette dernière serait donc redevable à ce mouvement – qui a si longtemps flûté avec le Parti du Pouvoir contre la gauche – de son éclosion. Et ce collaborateur d'ajouter très gentiment « certes nous avons tous souffert de l'Etat policier tunisien, gauche comme droite mais peut –être avons-nous, nous les islamistes- plus souffert que les autres ». Ah bon, on va mesurer la teneur du patriotisme aujourd'hui par rapport au poids des tortures subies ? Drôle quand on sait que la gauche a subi, elle aussi, et bien avant les islamistes qui marchaient bras dessus bras dessous avec les destouriens ne le subissent – les pires des tortures que le génie des assassins de Bourguiba avait inventées. « N'oubliez jamais » dit Jo Cocker. Nous n'oublierons pas et ceux qui ont fait la révolution tunisienne n'ont jamais appelé à plus de ferveur religieuse mais à plus de liberté et de dignité. Que les politiciens et technocrates entament leurs travaux pour redresser le pays et le remettre en marche, c'est leur devoir mais nul n'a le droit de s'approprier la moindre parcelle de terre de cette révolution et d'en spolier ceux qui l'ont porté haut la main au prix de leur vie et de leur sang. Comme nul n'a le droit de s'approprier l'Islam parce qu'il se juge plus digne que tous les autres de le présenter. Et puis la religion ne doit jamais se substituer au système politique. Elle doit être séparée de l'Etat. Mais n'ayons peur de rien ni de personne. Les yeux de ceux qui ont offert cette révolution au peuple tunisien dans son ensemble ne se fermeront pas de si tôt. Ils veillent ! Et peu importe le nombre de ceux qui, sous couvert de sentiment révolutionnaire emprunté, préparent sournoisement leur contre - révolution. Les enfants de la révolution savent lire dans le livre de l'Histoire et leur combat ne fait que commencer.