Quelques jours après l'avènement de la révolution héroïque du peuple tunisien, le phénomène de l'émigration clandestine refait surface et reprend le devant de la scène. De jour en jour, ce phénomène s'amplifie prenant des proportions réellement inquiétantes. Des centaines de jeunes, profitant de l'instabilité sécuritaire prévalant se ruent sur la ville de Zarzis, point de départ des premiers harragas, dans l'espoir de tenter leur chance. Les échos dont ils ont eu vent parlent du succès qui avait couronné les premières navettes, des témoignages de parents de jeunes étant parvenus à bon port, en France même, en faisaient preuve et n'étaient que pour les inciter à la tentation.. Toute la côte s'étendant entre les villages de Souihel et Hassi Jerbi, devient ainsi le théâtre d'un remue-ménage sans précédent. Ces centaines de candidats à l'émigration clandestine, originaires de la région et d'ailleurs, en majorité à la fleur de l'âge, sont partout dans la ville, dans les cafés, dans la gare centrale, ou à la poste, qui trouve d'ailleurs des difficultés à satisfaire toutes les demandes de retrait d'argent transféré de l'étranger par un proche ou un parent pour couvrir les frais d'acheminement jusqu'à l'île italienne de Lampedusa, fixés à 2000dinars par ces marchands d'hommes sans scrupules que sont les passeurs. Depuis le 30 janvier, des dessertes incessantes au départ des mêmes côtes sont organisées quotidiennement, acheminant cette marée humaine vers l'Eldorado rêvé, et dont le nombre depuis lors est estimé jusqu'à vendredi dernier à presque 1500 âmes, selon les dires du ministre de l'Intérieur italien. Malheureusement, il ne se passe pas un jour sans que des drames de «harragas» noyés à quelques encablures de la côte suite au naufrage des petites barques de fortune devant les acheminer jusqu'au large où sont accostés les grands chalutiers servant pour la longue navette, ne défrayent la chronique : samedi 12 février, l'hôpital de Zarzis a signalé le décès de deux noyés et la mise sous soins intensifs de deux autres ; vendredi 11 février, trois autres ont perdu la vie, et le bilan n'est pas certes à sa fin tant que ces voyages de la mort perdurent. Cette émigration clandestine massive de nos jeunes depuis nos côtes a interpelé la classe politique italienne, M. Maroni en tête, ministre de l'Intérieur et M. Frattini, ministre des Affaires étrangères qui ont manifesté leurs vives préoccupations devant ce flux migratoire impressionnant, survenant dans un contexte exceptionnel, d'où l'appel lancé à l'adresse de l'Europe pour assumer ses responsabilités. Les images diffusées à répétition samedi dernier par la télévision publique italienne (RAI 1) montrant cette longue file de jeunes tunisiens la tête basse venant de débarquer à Lampedusa et transportés vers des centres d'identification, ne sont pas pour nous égayer ni pour nous remplir de fierté. Elles sont blessantes et déshonorent cette jeunesse de Tunisie, architecte incontesté de ce mémorable exploit, et tout un peuple haut la tête désormais autrement considéré. Elles sont également indignes d'un pays berceau d'une révolution hautement significative, sorti grandi et glorifié à l'étranger . Ces images diffusées dans plusieurs télévisions du monde de cette fuite en masse ne sont que pour fausser les jugements quant à l'état des lieux prévalant dans notre pays, et donner l'impression qu'il y a le feu chez nous et que notre pays est à feu et à sang. Exploiter le sang des martyrs et les sacrifices de tout un peuple pour apitoyer les autres sur notre sort et bénéficier conséquemment du statut de réfugiés de guerre relève d'un opportunisme malsain. Il trahit la mémoire des martyrs, morts pour que l'avenir du Tunisien chez lui soit radieux et prometteur et devant lui permettre de vivre dans la dignité et l'égalité des chances et jouissant de toutes ses libertés.