Par Mohamed Sraîb (Analyste Financier) - L'ensemble d'analystes financiers et professionnels du secteur bancaire tunisien a eu la désagréable surprise de lire le nombre de contre-vérités annoncées dans l'article relatif à l'engagement des banques avec les familles du président déchu, article pompeusement intitulé : « c'est criminel ». La première énormité, annoncée d'ailleurs en titre : « Les capitaux des banques sont de 700 Millions de dinars et les crédits mafieux sont de 2500 Millions de dinars ». Nous avons tout fait pour essayer de comprendre l'origine de ce chiffre, nous avons même supposé qu'il y a eu confusion entre capitaux propres et capital social en vain, ce chiffre vient de nulle part. Pour éclairer les Tunisiens loin du secteur, nous tenons à préciser que le capital social d'une banque n'est qu'une partie de ses capitaux propres. En effet, le capital social n'est que la partie des capitaux propres représentée par la valeur nominale des actions. Le reste des capitaux propres et généralement de lui plus important est composé de l'accumulation des réserves découlant des bénéfices antérieurs et gardées à la disposition de la banque. Le Hic, c'est que les 700 Millions de Dinars annoncés par l'article d'hier, ne correspondent ni au total des capitaux propres, ni à celui du capital social d'ailleurs. Pour le prouver, voici un tableau récapitulant ces deux agrégats pour chacune des grandes banques tunisiennes, et on y voit nulle part ce total de 700 Millions de Dinars : (tavleau1 source BVMT, CMF) Décrire les 2500 Millions de Dinars d'engagements du secteur de : « mafieux », n'engage que l'auteur de la description. Le secteur bancaire a certainement subi des pressions, les mêmes d'ailleurs que ceux subies par l'ensemble de tous les secteurs d'activité en Tunisie, les médias entre autres. Mais de là à qualifier l'ensemble de ces engagements de mafieux, est à notre avis une approche totalitaire malsaine. La majeure partie de ces crédits a en effet été octroyée à des entreprises représentant des fleurons de l'économie nationale selon les plus strictes normes de prudence, de rationalité et d'analyse du risque. Les agences internationales de notation, qui rappelons le, n'ont de compte à rendre ni à Ben Ali ni à ses proches, n'ont émis aucune réserve quant à ces grosses opérations de financement, opérations qui étaient internationalement notoires d'ailleurs. L'article en question ne s'arrête pas là, le supposé spécialiste du secteur pose une question, le moins qu'on puisse dire absurde. Non seulement il utilise un montant imaginaire qu'il impute au total capitaux propres des banques, mais il se pose la question de l'origine des différences entre la somme qu'il annonce arbitrairement et le total des engagements. Pareille question ne serait jamais posée par un banquier, car vide de tout sens par rapport aux règles prudentielles internationales qui régissent le métier du banquier. En effet, pour juger de l'importance de l'implication du secteur avec ces familles, c'est plutôt du côté du pourcentage de ces engagements par rapport au total des financements octroyés par le secteur bancaire à l'ensemble de l'économie tunisienne, qu'il faut chercher. Or l'ensemble des audits effectués jusqu'à présent nous informe que ce taux n'est pas plus de 5%, le « Crash » pompeusement annoncé par votre spécialiste, n'est certainement pas à l'ordre du jour. Les chiffres peuvent paraître faramineux au simple citoyen, car il n'a logiquement pas le réflexe de penser à la relativité de ces montants, à les rapporter à l'échelle macroéconomique (nombre d'agents économiques dans le pays) et à analyser les créations de richesses qui découlent de leur emploi. Le classement des créances est un autre critère qui peut éclairer les citoyens quant au risque encouru par les banques en octroyant ces crédits. Le classement est une mesure internationale de prudence qui suppose la répartition des créances selon le risque d'impayé qui en découle, les classes peuvent aller de 1 à 4. Classe 1 : Actifs nécessitant un suivi particulier Classe 2 : Actifs incertains Classe 3 : Actifs préoccupants Classe 4 : Actifs compromis A chacune de ces 4 classes de risque correspond un pourcentage de provisions (sorte de réserve pour couvrir le montant si finalement il reste impayé), qui varie de 20% à la classe 2 à 100% à la classe 4, la classe 1 ne nécessitant pas de provision réglementée. Nous nous sommes donc entendu sur le fait que seules les créances classées sont logiquement susceptibles de générer un risque de perte et que ces pertes sont généralement inférieures aux montants classés, analysons les chiffres à présent : (Tableau 2) Il ressort du tableau ci-dessus, que 93% des engagements pris par ces banques avec ces entreprises, sont des engagements courants ne présentant aucun risque. Mieux encore le Total des provisions (estimation des pertes probables) constituées au titre de ces créances n'est que de 4,22%. Le Banquier est un vendeur de risque, seulement, le banquier est aussi extrêmement prudent. L'activité bancaire est soumise : • Aux accords des cosignataires des comités de crédit de chaque banque, • Au contrôle de la banque centrale de Tunisie, • Au contrôle des auditeurs externes, • Au contrôle des agences de notation, • aux très stricts mécanismes de contrôle imposés aux banques tunisiennes par leurs sociétés mères pour celles ayant des multinationales bancaires parmi leurs actionnaires, c'est le cas notamment de l'ATB (Arab Bnak), l'UBCI (BNP), Attijari (Attijari Wafa Bank), l'UIB (Société Générale)… Toutes ces institutions de contrôle tolèrent la prise de risque commercial dans des limites appropriés, cette tolérance est logique et inévitable à l'activité, car le risque est le lot de toute entreprise. Que ces risques se transforment en pertes est dommageable, y a pas de doute. Que ces risques soient parfois pris suite à des pressions politiques insurmontables (c'était le cas avec la mafia Ben Ali) est aussi triste. Ces pressions pouvaient affecter l'activité même de la banque au-delà des gens qui la dirigent (le cas de la BIAT qui a enregistré un retrait massif des fonds suite à une analyse honnête de l'économie tunisienne faites par Mâalla y a quelques années, est fort édifiant sur ce que peut causer l'ex régime à une banque). Que ces risques soient pris puis subis, ne peut en rien déclencher le « crash » que ce « spécialiste » annonce, car a priori, des règles de prudence ont encadré ces risques et trop d'entités procédaient à des contrôles pour préserver le système bancaire tunisien. Qu'il y ait eu des dépassements ou des connivences est un autre sujet, les auteurs devront certainement rendre compte, mais le plus important, ce sont les institutions ; et au vu des chiffres déclarés sous supervision de la BCT dirigée par l'immense Mustapha Nabli et d'éminents cabinets d'audit externe, nos institution vont bien.