Lotfi OUENNICHE - Les jeunes qui ont fait la Révolution ne le connaissent pas. Béji Caïd Essebsi, nouveau Premier ministre, a quitté la scène politique, il y a 18 ans, soit cinq ans après l'accession au pouvoir du président déchu. Pour les observateurs, il s'agit d'un atout qui jouera en sa faveur dans cette période transitoire à hauts risques et où la contestation, qui revêt, malheureusement, des aspects très violents et regrettables, exige une rupture totale avec l'ancien régime et ses symboles. Mohamed Ghannouchi, ancien Premier ministre, démissionnaire, en a fait les frais. Quoique réputé intègre, Mohamed Ghannouchi incarnait, aux yeux d'une majorité de la population, une continuité du passé. Beaucoup de Tunisiens n'arrivent pas à oublier qu'il a occupé plusieurs postes ministériels sous Ben Ali avant de devenir son Premier ministre depuis 1999 jusqu'à sa chute et sa fuite du pays. Sa gestion des affaires de l'Etat dans la Tunisie post-révolutionnaire n'a en rien arrangé les choses. On lui reproche notamment une inexpérience politique, une confusion dans la prise de décision et la responsabilité du déficit de communication entre le gouvernement et le peuple, à l'origine d'une crise de confiance, difficile à endiguer. Quoi qu'il en soit, Mohamed Ghannouchi est parti et l'histoire en jugera de ses bilans, même si plusieurs s'accordent à dire qu'il a servi honorablement la nation. Une question se pose, aujourd'hui : Béji Caïd Essebsi est-il l'homme de la situation ? Le président par intérim saluait en lui, dimanche, son « patriotisme, sa fidélité et son abnégation au service de la patrie. D'autres figures politiques avancent qu'il est connu pour son libéralisme politique et son pragmatisme. Ce n'est nullement l'avis des protestataires, notamment les organisateurs du sit-in de la Kasbah, pour qui ce changement de Premier ministre ne signifie rien. Au contraire, ceci renforce leur détermination pour poursuivre la lutte jusqu'au changement auquel il aspire. Ce qui est sûr est que M. Caïd Essebsi est un homme de grande expérience politique et qui connaît bien les rouages de l'Etat. Les Tunisiens s'attendent à la formation d'un gouvernement qui fera l'objet d'une entente entre toutes les forces du pays et qui donnera la priorité à la résolution des questions politiques de façon à satisfaire les aspirations du peuple et les objectifs de la Révolution. Ces aspirations se résument, aujourd'hui, en une rupture totale avec l'ancien régime et ses institutions. Seulement, le nouveau gouvernement pourra-t-il travailler dans un climat de turbulences et d'agitation malsaine où des forces occultes et malintentionnées attisent les violences et les haines dans le but d'embraser le pays et créer le chaos ?