De notre correspondant permanent à Paris : Khalil KHALSI - Couronnement hollywoodien pour un roi pas comme les autres. Son histoire, peu connue par le monde, est restée bien fraîche dans la mémoire des Britanniques depuis la veille de la Seconde Guerre mondiale. « Le discours d'un roi » est le récit de la lutte du futur George VI avec… son bégaiement. Sorti il y a près de deux mois dans les salles françaises, il aurait été déplacé, indécent de chroniquer ce film au moment même où les Tunisiens luttaient encore contre ce chaos inévitable qui s'était installé dans le pays après le 14-janvier. Cependant, les Tunisiens n'ont pas abandonné pour autant leur esprit de cinéphile — non, ils n'en oublient pas de vivre. Nous avons bien conscience qu'ils sont toujours au courant des dernières sorties cinéma, et qu'ils ont probablement déjà vu « The Social Network », «True Grit », « Black Swan », «Never Let Me Go » et bien d'autres, grâce aux moyens qui sont les leurs… Probablement, donc, avez-vous déjà vu « Le discours d'un roi», qui jouit d'un succès outre-mer sans précédent depuis qu'il a été présenté en avant-première, et sachez qu'il a été sacré quatre fois lors de la 83ème soirée des Oscars, qui a eu lieu le 27 février dernier. Oscar du meilleur acteur pour Colin Firth qui, à cinquante ans, connaît un étonnant tournant de gloire dans sa carrière d'acteur (il avait déjà été pressenti pour le même Oscar avec son jeu impeccable et à fleur de peau dans le cependant kitchissime « A Single Man » de Tom Ford). Et Oscar du meilleur scénario original attribué à David Seidler, du meilleur réalisateur remis à Tom Hooper, et, enfin, du meilleur film. Belle revanche pour cette reconstitution romancée de l'histoire de George VI, qui fut réalisée avec très peu de moyens : 15 millions de dollars, face à un colosse tel que « Inception » (meilleure photo et meilleur montage son) qui en aura coûté 200 millions, ou même à « The Social Network » (4 Oscars techniques) — cf. notre chronique du mercredi 22 octobre 2010 — dont le budget alloué avoisine les 50 millions. C'est donc dans un Londres d'avant le Blitz qu'est implanté le décor de ce petit joyau de film qui nous raconte l'accession d'un prince au trône et à la parole. Ayant toujours vécu dans l'ombre de la couronne de son père George V (Michael Gambon, alias Dumbledore dans « Harry Potter », toujours aussi altier), ensuite de son frère devenu brièvement Edward VIII (Guy Pearce), le duc d'York (Colin Firth) se voit contraint de devenir roi à la place de son frère qui abdique pour l'amour d'une Américaine deux fois divorcée. Mais, à l'époque où chaque maison est dotée d'une TSF, le prince et futur roi n'a d'autre choix que de prendre la parole en public, et d'entrer par la voix chez ses sujets et jusque dans leurs cœurs. Le seul hic : il est bègue. Commence alors une lutte acharnée, à la fois tendre et mélancolique, drôle et terrible, avec ce handicap auquel personne ne peut trouver de remède. Appuyé par son épouse, la future Queen Mum (Helena Bonham Carter, égérie de Tim Burton et reine de la transformation), le duc d'York consulte plusieurs orthophonistes, avant de finir dans le salon délabré de Lionel Logue (Geoffrey Rush, formidablement vrai), un comédien australien raté et aux pratiques peux orthodoxes. « Controversées », lui dit la future Reine en allant lui demander ses services, dans une scène où le comique de la situation — bien à l'anglaise — atteint la virtuosité, ce qui augure de scènes encore plus délicieuses… quand quelqu'un du peuple doit faire apprendre à un souverain la prise de parole. Colin Firth livre une interprétation plus que royale de cet héritier timide, peu charismatique et enlaidi par ses grimaces, mais qui, dans ses moments de doute, d'effondrement et de capitulation pratiquement, est on ne peut plus attachant. De cela, peut-être, le vrai George VI tenait-il sa popularité, quand le peuple, l'écoutant à la radio, retenait son souffle à chaque fois qu'il donnait l'air de se bloquer, exactement comme nous, spectateurs, essayons de respirer à sa place. Assisté par Logue — tout au long d'une thérapie dans l'intimité de laquelle nous aurons été plongés, la vivant intensément —, le roi, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, donne un discours mis en scène dans une séquence absolument magistrale, moment très fort du long-métrage qui fait de sa qualité de petit chef-d'œuvre une certitude. Si l'histoire est authentique, alors les contes de fées sont possibles (nous ne pouvons connaître la position d'Elizabeth II, fille du roi bègue, quant à ce film, comme elle ne s'était pas prononcée sur « The Queen »). Mais, quoi qu'il en soit, le monde a besoin de rêver et de s'émouvoir, même à l'histoire d'un prince bègue sur son cheval orthophoniste.