(Agences) Les rumeurs ont commencé à enfler lors du festival de Cannes, pour se transformer en tsunami après la consécration de Jean Dujardin. Sur toutes les bouches, le même bruit: «les Américains aiment beaucoup The Artist, il pourrait bien tout rafler aux Oscars». L'hypothèse est en passe de devenir réalité, et s'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, force est de reconnaître que le film remplit de nombreux critères de l'œuvre « oscarisable». Comment un film français aussi atypique s'est-il attiré les faveurs d'Hollywood ? Voici quelques éléments de réponse. Les Frères Weinstein à la barre
Pour son exploitation sur le sol américain, les droits de The Artist ont été achetés par la Weinstein company. Pour beaucoup, cet événement annonce d'ores et déjà le succès du film aux Oscars et aux Golden Globes. Pourquoi ? Parce que les propriétaires de cette compagnie sont connus pour n'acquérir que des candidats à diverses récompenses, et sont aujourd'hui les meilleurs lobbyistes outre-Atlantique. Les anciens patrons de Miramax, Harvey et Bob Weinstein, désormais à la tête de la Weinstein Company ont fait main basse sur les derniers restes du nouvel Hollywood, et dévoré sans pitié le cinéma indépendant américain pour en faire une bête à concours. Réputés pour leur sens du business, leur efficacité, autant que leurs méthodes parfois aux limites de la légalité, ils ont fait des Oscars la charnière de leur système de production. En 15 ans avec Miramax, ils ont entassé quelque 249 nominations, et 60 Oscars, dont 3 du meilleur film. Conséquence, même si le risque de voir son œuvre maltraitée est pour ainsi dire assuré, elle a également toutes les chances de s'attirer les récompenses de l'Académie des Oscars. Ainsi, Le Discours d'un Roi est parvenu, contre toute attente, à passer devant le Social Network de Fincher, mais au prix de nombreuses coupes, et de censure des dialogues, lesquelles comportaient quelques grossièretés, incompatibles avec les montagnes de billets verts que les Weinstein comptaient en tirer. Une anecdote illustre parfaitement les méthodes parfois discutables des deux frères : en 2009, Slumdog millionaire fut victime d'une campagne de presse infâmante, prétendant que le film aurait exploité à bas coût des travailleurs indiens. La rumeur voulait que Harvey Weinstein soit à l'origine de la campagne de diffamation, quand il fut interrogé à ce sujet, il fournit une réponse des plus sibylline. « Que dire ? Quand vous vous appelez Billy the Kid et que vos adversaires meurent naturellement, tout le monde vous soupçonne de les avoir tués ! »
Pas de problèmes de langue
The Artist a un énorme avantage sur tout autre film étranger, et c'est sans doute celui-ci qui lui permet aujourd'hui d'être le favori de la catégorie Meilleur Film. Il est muet ! Comprenez, pas besoin de doublage (que les Américains font fort mal) ni de sous-titrage (que beaucoup d'entre eux méprisent). Le film est donc parfaitement accessible en l'état à tout spectateur américain, ce dernier n'ayant qu'à lire les rares cartons résumant les dialogues. Il n'y a donc à l'heure du visionnage, aucune différence entre la création de Michel Hazanavicius et celle d'un metteur en scène américain.
Parler de l'histoire américaine
Ce n'est plus un secret pour personne, l'Académie des Oscars est particulièrement sensible aux sujets historiques, comme en témoigne le triomphe récent du Discours d'un Roi, ou celui en son temps de Shakespeare in love. The Artist marque donc des points dans cette catégorie, grâce à sa reconstitution méticuleuse du Hollywood des années folles. Mieux encore, il appartient à la catégorie prestigieuse et particulièrement en vogue des méta-films. Qu'est-ce qu'un méta-film ? Une histoire qui peut être reçue au premier degré, ici la romance contrariée d'une star sur le déclin, et d'une autre montante, mais aussi une réflexion sur le septième art lui-même. Un exercice auquel sont rompus Woody Allen ou encore David Lynch (La Rose Pourpre du Caire, Mulholland Drive), et qui fit leur succès. Récemment, Inception de Christopher Nolan peut être également perçu comme une métaphore du cinéma, l'analyse chirurgicale de la création d'un scénario, ou la recette de l'inestimable suspension d'incrédulité, phénomène qui permet au spectateur d'adhérer à une histoire, quelle que soit sa vraisemblance. The Artist met donc ses pas dans ceux d'aïeux prestigieux, ce qui ne peut que servir sa cause.
Hollywood a toujours recyclé les talents étrangers
D'aucuns se sont étonnés de voir un film français si bien reçu, et accueilli avec plus de bienveillance encore que ne le fut La Môme. Mais en vérité, il n'y a là rien de très surprenant. En effet, la simple expression « cinéma américain » est partiellement mensongère, car l'une des plus importantes particularités de l'industrie hollywoodienne, plus que d'avoir essayé de bâtir une cinématographie nationale, est d'avoir toujours cherché à attirer des talents venus de l'étranger, afin de se renouveler. On ne compte plus les artistes à s'être expatriés pour bénéficier des largesses d'un système riche et puissant, souvent pour le meilleur. On pense à Erich Von Stroheim, Fritz Lang, Samuel Fuller, Wolfgang Petersen, Roland Emmerich, Peter Jackson, Roman Polanski, Peter Weir, Paul Verhoeven, Alexandre Aja, Guillermo Del Toro, Christophe Gans, Michel Gondry. La liste est longue, et prouve que le cinéma américain est beaucoup plus ouvert et varié que la caricature qu'on en fait souvent. Rien d'étonnant donc à ce que The Artist et son réalisateur puissent y faire leur place. Bien malin celui qui saura prédire avec certitude quels seront les grands gagnants des Academy Awards. Une chose est sûre, contre toute attente, c'est un film français qui est bien parti pour y laisser sa marque, une surprise réjouissante après une année incroyablement riche pour le cinéma français et qui pourrait bien lui offrir une publicité méritée.
Le palmarès
Le conte de fées de The Artist poursuit son cours : le film français s'impose aux Oscars dans des catégories majeures, dont meilleur film, meilleur réalisateur pour Michel Hazanavicius et meilleur acteur pour Jean Dujardin. « Merci beaucoup. I love you », s'est exclamé Jean Dujardin – qui battait au passage des pointures telles que George Clooney et Brad Pitt - en recevant son prix. L'œuvre en noir et blanc, nominée dix fois aux Oscars 2012 et grande gagnante des César de vendredi dernier, a décroché cinq des prestigieuses statuettes. Déception cependant pour Bérénice Bejo qui a perdu dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle, au profit de la comédienne Octavia Spenser pour le film La couleur des sentiments. The Artist remporte également l'Oscar de la meilleure musique originale ainsi que du meilleur costume. http://fr.cinema.yahoo.com/oscars/Hugo Cabret - autre film sur le cinéma - est le deuxième grand gagnant de la soirée. Nominé à 11 reprises, le film de Martin Scorsese repart avec cinq statuettes en poche. Quant à l'autre film français des Oscars (Une vie de chat, qui était nominé dans la catégorie meilleur film d'animation), il repart malheureusement bredouille. Heureuse surprise pour le film Une séparation, qui remporte l'Oscar du meilleur film étranger. Victoire également pour Meryl Streep, sacrée meilleure actrice pour son rôle dans le biopic La dame de fer.
Liste complète des gagnants aux Oscars 2012 :
Meilleur réalisateur : Michel Hazanavicius, "The Artist" Meilleur acteur : Jean Dujardin, "The Artist" Meilleure actrice : Meryl Streep, "La dame de fer" Meilleur film : "The Artist" Meilleur acteur dans un second rôle : Christopher Plummer, "Beginners" Meilleure musique: Ludovic Bource, "The Artist" Meilleure chanson: Bret McKenzie, des "Muppets" Meilleure adaptation : Alexander Payne et Nat Faxon & Jim Rash, "The Descendants" Meilleur scenario original : Woody Allen, "Minuit à Paris" Meilleure actrice dans un second rôle: Octavia Spenser, "La couleur des sentiments" Meilleure photo: Robert Richardson, "Hugo Cabret" Meilleure direction artistique: Dante Ferretti et Francesca Lo Schiavo, "Hugo Cabret" Meilleur costume: Mark Bridges, "The Artist" Meilleur maquillage: Mark Coulier et J. Roy Helland, "La dame de fer" Meilleur film étranger: "Une Séparation" Meilleur montage: Kirk Baxter et Angus Wall, "Millenium" Meilleur montage sonore: Philip Stockton et Eugene Gearty, "Hugo Cabret" Meilleur mixing sonore: Tom Fleischman et John Midgley, "Hugo Cabret" Meilleur court métrage: "The Shore" Meilleur court métrage documentaire: "Saving Face" Meilleur court métrage d'animation: "The Fantastic Flying Books of Mr. Morris Lessmore" Meilleur documentaire: "Undefeated" Meilleur film d'animation: "Rango" Meilleurs effets visuels: Rob Legato, Joss Williams, Ben Grossman et Alex Henning, "Hugo Cabret".