Par Ahmed NEMLAGHI - L'indépendance de la Justice est un principe intangible de nature à consolider la démocratie et la liberté en général. Car le juge est essentiellement le garant de la liberté et de l'égalité de tous devant la loi. En France, avant la révolution, les juristes et les légistes attachés à la suprématie royale considéraient que toute justice émanait du roi, celui-ci étant le représentant de Dieu sur terre. Cette dépendance de la justice à l'égard du pouvoir a commencé à s'estomper depuis l'abolition de la monarchie. Aussi le principe de l'indépendance de la justice a été de plus en plus consolidé, dans tous les pays à régime démocratique, où la séparation des pouvoirs constitue la meilleure garantie contre l'arbitraire et la dictature. C'est le principe présenté par Montesquieu comme étant le fondement de l'Etat de droit. Il importe tout d'abord, afin d'assurer à la justice cette indépendance, que les magistrats jugent selon la loi, et en leur âme et conscience. C'est ce qu'on désigne en droit par l'intime conviction du juge. Celle-ci ne doit souffrir aucune contrainte ni aucune influence matérielle, morale ou sentimentale. Ce vieux film français, intitulé « le verdict » et dans lequel Jean Gabin tient le rôle d'un président de chambre criminelle est bien révélateur dans ce sens. Il devait juger un criminel. La veille de l'audience les membres de la bande de l'accusé ont procédé à l'enlèvement de l'épouse du président, diabétique et ayant besoin régulièrement d'injections d'insuline. Ce magistrat s'est trouvé dans une situation bien cornélienne. Son intime conviction ne devait être altérée par aucun élément extérieur pouvant faire pencher la balance de nature à la mettre en mauvais équilibre avec l 'équité. Problème éternel en face duquel se trouve chaque magistrat tenu de rendre un verdict. Celui-ci peut être fatal pour l'intéressé, alors qu'il est teinté de subjectivisme, de favoritisme, bref, subissant des éléments tout à fait étrangers à la loi et à l'équité. Le juge ne doit subir aucune influence, ni ingérence. Il est libre d'avoir une opinion politique en tant que citoyen. Mais lorsqu'il est saisi d'une affaire il ne doit être influencé par aucune tendance ou opinion politique. Il statue librement et objectivement. Sous l'ancien régime du président déchu l'indépendance de la Justice était un vain mot. Ne serait-ce que par le fait que le dictateur, était à la tête du conseil supérieur de la magistrature. Sans compter les interventions dans les affaires à coloration politique où les juges concernés, subissent des interventions et se trouvent acculés à rendre des jugements en conséquence, et qui sont, bien évidemment ni fondés ni équitables. L'indépendance de la justice fait partie des objectifs du gouvernement transitoire qui œuvre à jeter les fondements d'un régime démocratique réel. Les magistrats sont les premiers à œuvrer à sa consolidation par tous les moyens. Cependant l'attitude de certains magistrats et leurs réactions vis-à-vis de certaines situations, n'est pas de nature à répondre comme, il se doit à cet objectif ; et c'est le moins qu'on puisse dire. En effet, sur la base de l'indépendance de la justice on a dénoncé l'attitude du président de la commission des investigations sur les abus et la corruption, qui a ignoré en quelque sorte une décision de justice, ordonnant le gel de l'activité de ladite commission et rejetant également la demande de surseoir à cette décision par le président de la cour d'appel. Cependant on est également tenu de dénoncer l'attitude du président de l'association des magistrats, lequel a fait une déclaration télévisée, au cours de laquelle il a émis des critiques contre la nouvelle loi sur la profession d'avocat. Les deux attitudes sont de nature à affecter l'indépendance de la justice. Le juge est tenu de dire le droit, en fonction des lois en vigueur et selon son intime conviction. Celle-ci ne doit pas être teintée de subjectivisme, et ne doit pas répondre à ses vœux ou ses intérêts personnels.