L'arabité et l'Islam, les deux attributs fondamentaux de l'identité nationale tunisienne, viennent d'être bousculés, sérieusement, en Tunisie, dans le sillage de la Révolution du 14 janvier, ce qui ne manquera pas de soulever d'énormes difficultés dans l'élaboration de la nouvelle Constitution tunisienne, dans les mois à venir. La laïcité qui implique la séparation nette entre l'Etat et la religion, avait été une des revendications brandies par une importante partie de Tunisiens, notamment, de la frange des instruits, jeunes et moins jeunes, au cours de la Révolution populaire tunisienne, au point que dans un entretien accordé dernièrement au journal ‘'Le Temps'', le ministre des Affaires religieuses du gouvernement provisoire de Tunisie a admis la légitimité d'une telle revendication. Changement historique Au même moment, l'attachement des Tunisiens à l'arabité et aux liens arabes n'est plus inconditionnel. La solidarité arabe, fondée sur le devoir de fraternité arabe, dans toutes les circonstances, semble céder la place, aujourd'hui, chez le peuple tunisien, à une sorte de sympathie révolutionnaire envers les peuples arabes davantage à cause de leur lutte actuelle en faveur de la liberté, de la démocratie et de la dignité, plutôt qu'en raison de la traditionnelle appartenance à la même nation arabe. Les Tunisiens ont, ainsi, soutenu, dans leur majorité, l'intervention militaire occidentale contre le régime du leader libyen Mouammer El Gueddafi et les forces armées libyennes qui lui sont restées loyales, en Libye sœur, parce que cette intervention de la part d'étrangers à la Nation arabe, est censée aider le peuple libyen à instaurer un régime démocratique en Libye à la place du régime dictatorial de Gueddafi. En 2003, les Tunisiens s'étaient opposés en bloc à l'invasion de l'Irak frère de la part de la coalition militaire occidentale conduite par les Etats Unis d'Amérique. Pourtant, les motifs invoqués étaient similaires, en l'occurrence le renversement de « régimes despotiques » et l'instauration « de régimes démocratiques ». Or, la première Constitution tunisienne de juin 1959, qui vient d'être suspendue, tout récemment, en attendant l'adoption de la nouvelle Constitution, stipule dans son premier article que la Tunisie est un Etat libre et indépendant, ayant l'Islam comme religion et l'arabe comme langue. De son côté, dans des déclarations récentes, le premier ministre du gouvernement provisoire de Tunisie, Béji Caid Essebsi, a qualifié les attributs identitaires relatifs à l'Islam et à l'arabité « de lignes rouges » à ne pas franchir dans toute réforme constitutionnelle ou politique, en Tunisie. A cet égard, des analystes relèvent que ce changement historique dans la perception de l'arabité chez les peuples arabes ne se limite pas à la Tunisie mais se généralise. L'Egypte, ancien bastion de l'arabité, qui a mené, avec succès, une Révolution populaire pour le changement démocratique, parallèlement à celle de la Tunisie, connaît aussi cette évolution de la perception de l'identité, au niveau profond des masses populaires. On rencontre un changement pareil chez les masses populaires révoltées dans les autres pays arabes. Selon les mêmes analystes, ce changement dans la mentalité arabe à l'égard des attributs identitaires est aussi important que le changement démocratique, face au chauvinisme de l'Etat d'Israël attaché à fonder son identité sur le concept raciste de nation juive, ou encore face à l'Europe et à l'Occident xénophobes, plus soucieux que jamais à fermer leurs frontières devant ‘'les hordes d'immigrés arabes et africains''.