Par: Hechmi GHACHEM - Quand notre plus riche voisin a pu -enfin- s'acheter au détail une cigarette, ce fut comme une libération pour nous tous. Une sorte d'éveil inattendu à la vie. Tout le village avait repris espoir. Nous existions de nouveau. Avant qu'il ne demande à l'épicier de l'allumer nous – hommes et enfants – le regardions avec tellement d'envie que la cigarette s'est allumée d'elle-même et chacun d'entre nous avait eu la sensation de la fumer avec lui. Ce fut un terrible hiver. Le long et terrible hiver de la désolation et du besoin. Mais ce soir là tout le village s'est endormi avec l'agréable sensation de faire de nouveau partie du monde des vivants. Le lendemain nous avions décidé que cette journée devait être marquée « journée internationale de la cigarette de l'espoir ». Mais les lendemains ne chantent que très rarement pour ceux que l'Histoire avait abandonnés. Nous nous sommes réveillés avec un goût de cendre et de sang dans la gorge. Etait-ce là le seul parfum d'espoir dont nous pouvions rêver. Ensuite les choses sont allées très vite. Voulant allumer une cigarette virtuelle, un jeune homme a été mangé par le feu d'une allumette qu'il n'arrivait pas à faire exploser. Cette nouvelle gagna toutes les villes du pays et se déversa à travers les milliers de canaux communiquant du monde. « Un jeune homme s'est immolé devant le siège du gouvernorat ». Alors nous sommes sortis dans les rues maigres du village appelant les forces de l'ordre à nous aider à mourir, nous aussi par le feu tellement nous avions froid. Quelques-uns parmi nous – surtout des jeunes – ont eu la chance d'être tués mais – hélas – par balles et non par le feu. Puis notre désir de mourir a gagné tous les pays environnants. Des populations entières demandaient à être immolées. Plus personne n'avait peur de mourir puisque nous étions tous morts avant de naître. Certains de nos décideurs ont préféré s'éclipser comme des malpropres, emmenant avec eux ce qui leur semblait capable de les sauver de la mort. D'autres ont préféré résister pour accomplir ce pourquoi ils avaient toujours vécu : tirer sur tous ceux qui osaient s'opposer à leur suprématie de pacotille et gagner ainsi la seule guerre de leur vie. Ensuite la fièvre est retombée. La Révolution est rentrée dans son cocon ancestral. On a augmenté le salaire de ceux qui ont tiré sur nous. On a fait sortir de leur prison tous les prétendants au trône. L'espoir s'est éteint comme la cigarette de notre plus riche voisin et nous avons rejoint avec humilité et glaciale ferveur notre sempiternelle identité. Celle des pauvres qui rêvent qu'un jour prochain un de leurs voisins aura une petite pièce en plus pour se payer une autre cigarette de l'espoir et faire – ainsi redémarrer l'économie du pays.