De notre correspondant permanent à Paris : Khalil KHALSI - Tsui Hark fait revivre et sort de son imaginaire des personnages dans la Chine du VIIe siècle de notre ère, pour constituer une fable des plus flamboyantes. Le cinéaste hongkongais, producteur dans l'ombre des films de John Woo, réalise son propre « Tigre & Dragon », sûrement un peu moins sérieux et grandiloquent, mais ô combien envoûtant. Si la magie existait, elle ressemblerait à cela. À un film de Tsui Hark où les légendes des plus anciennes et ancrées des civilisations se mêlent au réalisme ; un réalisme que les spectateurs du XXIe siècle continuent à demander pour nourrir leur soif de réel, de dépaysement, et, parfois, sans se faire ménager. Ainsi, « Detective Dee », au vu du titre (probablement rebutant, de prime abord) et de l'intrigue, donne l'impression d'être une enquête policière à l'américaine. Mais cette histoire hybride – où tous les genres se mélangent selon une symbolique bien précise –, qui aurait parcouru les siècles, n'est qu'un prétexte pour le déploiement fantastique que se promet d'être chaque minute du film. Le juge Dee a donc, avant de devenir une légende, réellement vécu sous la dynastie Tang. Pour les besoins du rêve qu'il fabrique, Tsui Hark le place en l'an 690, quand la régente de l'empire de Chine, Wu Zietian (Carina Lau), ayant évincé le prince sous prétexte qu'il était trop jeune pour régner, décide de se faire couronner. L'introduction ne fait pas de doute : unique femme face à une instance de pouvoir exclusivement masculine, Wu Zietian est aussi déterminée qu'impitoyable, que cruelle. Le règne qu'elle se promet d'entamer est à l'image de cette gigantesque statue de Bouddha qui surplombe le palais et la cité, reconstituée (assez vulgairement) en numérique. Et l'intérieur de cette construction, aussi tourbillonnant, labyrinthique que ce que l'intrigue se promet d'être. L'esthétique des premières images augure de la tournure de l'histoire, de l'intérêt de cette paisible sculpture sacrée, surtout quand le premier crime est commis. Ainsi, des morts mystérieuses, considérées comme étant un châtiment divin, mettront la puce à l'oreille de la régente concernant un éventuel complot fomenté contre sa personne. Aussi celle-ci relâche-t-elle le juge Dee (Andy Lau), emprisonné depuis huit ans pour s'être opposé à son règne. Le détective est le seul capable d'élucider le mystère de cette flamme invisible qui enflamme de l'intérieur les victimes lorsqu'elles sont confrontées au soleil, les réduisant en cendres. Réalité contre magie Se mettant au service de celle dont il dénonçait les pratiques dictatoriales, le détective Dee entame son enquête, flanqué de Pei Donglai (Chao Deng) – un fieffé juge albinos assez suspicieux qui doit constamment se protéger des rayons du jour – et d'une servante de l'impératrice, Shangguan Wan'er (Bingbing Li), surnommée Grand Officier, et dont la beauté est à elle seule un mystère. L'enquête les mène du cœur de la statue jusqu'à une cité souterraine, un empire en dessous de l'empire, où vivent des marginaux. Dans cette ville fantôme, Tsui Hark offre une scène d'action de grande érudition, où le fantastique et la magie, voire la sorcellerie, alliés aux arts martiaux, semblent être toujours au rendez-vous, comme s'il s'agissait du quotidien des Chinois de l'époque, hautement spirituels et superstitieux. C'est pourtant à ce moment-là que le déclic s'opère, que l'enquête magique prend tout son sens, pour nous faire réaliser que la force d'une telle civilisation reposait entièrement sur des chimères, et que les humains sont, avec leurs capacités de terrestres, les seuls faiseurs de leurs rêves et de leurs tragédies. Par conséquent, tout s'explique, bien que par des procédés assez abracadabrants – c'est, après tout, du cinéma, et du cinéma du genre. À l'image des scènes hautement virtuoses, colorées, merveilleusement chorégraphiées et mises en scène avec la fluidité d'un poème, et où se révèle la réelle machination de la magie, correspond la stature de la future impératrice, ainsi que de la cité qu'elle tient d'une main de fer, parfois de sang. Nous n'irions pas vite en besogne si nous concluions que ces deux mondes en lutte, selon un manichéisme banal mais inévitable (quoique l'impitoyable régente soit paradoxalement humanisée, comme pour nuancer la critique politique), sont la parabole de la Chine contemporaine confrontée à son prolétariat. Car si Tsui Hark s'ingénie à constituer un florilège de tableaux aussi poétiques les uns que les autres, en ce que cela a de beau et d'atroce, il désamorce toute la part de merveilleux qui pourrait nous éloigner d'une réalité palpable, évidente. De même, il fait du Detective Dee un merveilleux spectacle mais aussi un implacable pamphlet, dont les nuances nous gênent toutefois. C'est peut-être en cela que le scénario se révèle être parfaitement réaliste, vu l'issue assez amère pour les enfants révoltés de la modernité que nous sommes.