De notre correspondant permanent à Paris: kHALIL khalsi - Un drame de fin de vie servi par un cinéaste qui confirme encore plus son humanisme. Dans son nouveau film, Iñarritu conjugue beauté et violence au même temps, celui de la mondialisation. Parce que ce sont de grandes œuvres, les films d'Alejandro González Iñarritu divisent toujours le public. Et ce quatrième long-métrage parachève la scission entre les admirateurs du travail du réalisateur mexicain et ceux qui ont du mal à y adhérer. Parce que dans «Biutiful», dont il est l'auteur exclusif (il avait l'habitude de travailler en duo avec le scénariste Guillermo Arriaga), il explore encore plus profondément l'ombre et la lumière de l'âme humaine, dissèque avec un soin exacerbé les rapports entre les hommes, ces brebis abandonnées… Bien qu'il y marque une rupture évidente, du moins au niveau de la forme, avec la trilogie constituée d'«Amours chiennes», «21 grammes» et «Babel». Ce n'est pas un film hollywoodien, les personnages ne parlent pas anglais. Non, la production est américano-mexicaine et l'histoire se passe à Barcelone. Autre chose : ce n'est pas un roman choral. Il n'y a qu'un seul personnage, un homme, Uxbal (Javier Bardem), encore un qui apprend qu'il est atteint du cancer et qu'il lui reste peu de temps à vivre. Encore un, voudrait-on dire, qui va devoir apprendre à vivre avec la mort grandissant en lui. Même Paolo Coelho a raconté une histoire pareille. Mais, meilleur spiritualiste que l'auteur brésilien, Iñarritu garde les pieds sur terre, les yeux dans l'âme, pour interroger le réalisme en nous faisant vivre dans les vingt -et -un grammes de vie d'Uxbal. Vingt- et- un grammes qui se délayent à mesure que le film avance, que l'étau se reserre, que l'air en vient à manquer et la lumière à se dissiper… jusqu'à l'explosion finale.
Bouleversant
Avec les traits bruts de son visage et sa queue de cheval, Uxbal a bien l'air du filou qu'il est : il trafique avec des Chinois qui exploitent des travailleurs clandestins, avec des policiers qui menacent de démanteler le réseau, et avec des parents pleurant leurs enfants qu'il va accompagner à travers la mort. Mais Uxbal est aussi père de deux enfants qu'il essaye d'éduquer du mieux qu'il peut, en les protégeant de leur mère maniaco-dépressive (mention spéciale à la mexicaine Maricel Álvarez) dont il est séparé. Portant seul le secret de sa maladie, Uxbal va vivre dans le refus de la mort, comme si elle n'existait pas – alors qu'il la côtoie –, en essayant de se racheter. Ce n'est guère une rédemption, car il sait qu'un péché commis ne peut être effacé… Iñarritu nous montre un homme seul face à l'immensité du monde et de ses mystères. Le drame semble vouloir se concevoir dans la perfection, tant les erreurs persistent quand il essaye de les réparer, tant tout lui échappe, comme la vie elle-même. Uxbal erre dans les rues de Barcelone, surprenantes de saletés et d'insalubrité, comme il errerait dans son âme. Là où la lumière butte contre l'obscurité et se laisse dévorer. Jusqu'au bout, même si quelques rayons se frayent un chemin dans sa fin de vie, quand, à bout de souffle, il se laisse aller. C'est là qu'abandonne le hibou en crachant sa boule de poils – l'un des gros plans, de grande beauté, sur lesquels s'ouvre le film. Cette boule de poils crachée à la fin représente l'atmosphère insoutenable du film, oppressante, littéralement étouffante. Iñarritu nous attache à l'écran par cette beauté, notamment celle du fantastique, bien méditerranéen, qui intègre tout naturellement le réalisme des choses, et celle de la musique de son acolyte Gustavo Santaolalla. Certains moments sont incroyablement oniriques, contemplatifs, y compris dans ce qui est sinistre, macabre. Même la violence est filmée avec beauté, et cela bouleverse, profondément. L'émotion est physique et elle fait mal. On ressort de la salle épuisé, le corps vidé. De sa boule de poils. Le réalisateur et son acteur, Javier Bardem (à qui ce rôle a valu le prix d'interprétation masculine au dernier Festival de Cannes), semblent être tous deux arrivés au sommet de ce que le talent leur permet. Encore plus de perfection serait irréel. Mais il faut s'y attendre.