Hier à Sousse devant le théâtre municipal, les sahéliens ont organisé un rassemblement pacifique. Cette action est une riposte à ce qui s'est produit samedi dernier à l'avenue Habib Bourguiba, où un groupe de citoyens ont organisé une marche anti-sahéliens pour provoquer une atmosphère d'hostilité et attiser davantage les esprits. Ces incidents nous invitent à formuler quelques réflexions pour élucider la question et la mettre dans son cadre. Quand on dénonce les Américains, on vise le gouvernement et non pas les citoyens. Là également, on fait la part des choses : on parle d'un groupe bien déterminé, celui de cette poignée d'hommes influents financièrement et politiquement. Il s'agit d'une vérité qui est bien ancrée dans notre histoire. Ce lobby tient les rênes de la vie politique depuis 1956. Les années 70 et le début des années 80 ont connu une lutte acharnée entre ce groupe de pression et celui des Tunisois dont le chef de file était Wassila, l'ex épouse de Bourguiba. Cette lutte a été couronnée par la victoire du premier, ce dernier était battu au bras de fer. L'épilogue c'était le divorce entre le Président et sa compagne. La passation entre Sahéliens était assurée bien avant le 7 Novembre par la nomination de Ben Ali à la tête du gouvernement. Cette désignation s'inscrivait dans la continuité, il a relayé M'zali, Nouira et Ladghem.
L'immolation
Donc, par Sahéliens, il ne faut pas entendre tous les habitants de cette région, puisque ceux-ci ne sont pas tous dans le pouvoir, la majorité écrasante d'entre eux se trouve en dehors et subit comme tous les citoyens des autres régions ses embrasements, et comme eux, ils souffrent à cause des difficultés financières et aussi de la misère. L'objet de la rancune populaire n'est pas bien évidemment eux, mais les détenteurs du pouvoir, ceux qui ont fait du tort à eux et aux autres, c'est-à-dire à tout le pays. Tout le monde se rappelle les événements de la saison de football de 2008 où tous les clubs se sont rangés du côté du Club Africain, y compris l'Espérance de Tunis qui a baissé les bras au derby, et l'ont aidé à remporter le titre du championnat, ils se sont tous coalisés contre l'Etoile du Sahel. La liesse était générale dans une ambiance multicolore : c'était la première fois qu'on voyait les drapeaux clubiste et espérantiste s'entrelacer. Cette coalition n'était en fait qu'une expression politique par des moyens sportifs : le peuple faisait entendre sa grogne au pouvoir totalitaire et répressif, il dénonçait la misère et l'injustice. Il faut se rappeler qu'au cours de cette année 2008, il y avait les émeutes du Bassin Minier de Erredayef qui ont été réprimées dans le sang et qui ont servi de carburant à la révolution. Toujours dans le cadre sportif, l'Etoile a perdu sa finale injustement contre l'Espérance, l'arbitre a refusé de lui valider plus d'un but incontestable. C'étaient en fait des concessions politiques à coloration sportive : le régime a troqué les titres de ce club prestigieux contre sa stabilité. Le public sahélien a payé une facture dans une affaire qui lui était tout à fait étrangère, il était immolé en expiation des crimes du régime.
Contre l'exclusion
Faute de moyens politiques et d'espace public, le peuple a fait des stades et aussi des salles de sport son terrain de lutte contre la dictature et de l'Etoile un symbole de ce dernier en raison de l'appartenance géographique. Les injures proférées par le public s'adressaient en réalité aux autorités par le biais de ce club qui lui servait donc de prétexte et rien de plus. L'ambiance électrique des dernières années qui sévissaient dans les stades étaient un signe avant coureur qui présageait la tempête. Alors, nommons les choses par leurs vrais noms : il ne s'agit nullement de régionalisme lorsqu'on dénonce l'accaparation du pouvoir par les Sahéliens, c'est une vérité que personne ne peut nier. Par contre, il y aurait régionalisme si ce dernier continuait à être confisqué par eux, là, les esprits seraient attisés et on entrerait dans une spirale de violence qui serait très lourde de conséquences. Les grandes disparités entre les régions sont le corollaire de ce monopole de la vie politique. Ce qui se produit dans ce domaine a son pendant dans le syndicat : l'UGTT est confisquée par les Kerkennais. Si on tient à instaurer un climat social sain, il faut cesser l'exclusion et la tutelle. Et pour que ce projet aboutisse, il est impératif d'en parler, de dénoncer haut et fort ces pratiques. Se taire là-dessus ne ferait qu'aggraver la situation, qu'envenimer la plaie, ce qui nous ferait revenir sur nos pas. Pour s'en persuader, il suffit de se représenter l'ancienne époque où on fermait les yeux sur des problèmes épineux que le régime déchu essayait d'aplanir par le mensonge, des réalités désagréables qu'il estompait par le fard. Donc, pour rompre définitivement avec l'ancien régime pourri, sceller la paix sociale et réaliser une vraie réconciliation entre les régions, parlons de tout et débarrassons-nous des tabous : l'assainissement est un acte d'hygiène qui consiste à extirper toutes les mauvaises graines.