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«Ennahdha» est-il capable de jouer le jeu démocratique ? Questions/Réponses …avec Faouzi Hadhbaoui, activiste politique et membre de la Haute Instance de la Transition Démocratique
La gauche tunisienne évolue-t-elle ? Le comportement de la Gauche, la nature des mouvements islamistes, le rendement du gouvernement provisoire et la date des élections de l'Assemblée Constituante sont les questions que nous avons évoquées avec Faouzi Hadhbaoui, activiste politique et membre de la Haute Instance de la Transition Démocratique, de la Réalisation des Objectifs de la Révolution et de la Réforme Politique. Notre invité ne mâche pas ses mots, il répond sans détours et soulève des questions brûlantes. -LE TEMPS : Qu'en est-il du front démocratique ? -Faouzi Hadhbaoui : Il connaît encore des difficultés dues essentiellement à l'attitude de la Gauche qui refuse toujours d'y adhérer. -Par quoi vous expliquez ses réticences ? -A mon sens, la Gauche tunisienne refuse d'évoluer, il est temps qu'elle revoie ses méthodes de travail. Sans cela, elle serait incapable de comprendre la situation. Notre Gauche verse dans le panarabisme et perd de vue ses tâches au sein de la société, son discours nationaliste lui fait perdre de vue ses tâches sociales. Malheureusement, elle vit encore à l'époque nassérienne et ne s'est pas encore adaptée à la nouvelle réalité déjà amorcée depuis les années soixante-dix suite à la débâcle de 67 et à la fin du règne de Nasser où des mouvements nationalistes se sont convertis à la gauche comme c'était le cas pour le FPLP(Front Populaire de Libération de La Palestine). Nos Marxistes sont plus nationalistes que les nationalistes eux-mêmes. Pire, certains d'entre eux sympathisent avec les intégristes, il est vraiment indignant que la gauche se rallie à l'extrême droite, aux forces obscurantistes, les ennemies de l'humanité et du progrès, c'est-à-dire de la Révolution. D'ailleurs, il n'y a plus de différence entre les Nationalistes et ces derniers qui viennent de forger une coalition sacrée dans un esprit purement électoral pour un partage éventuel du gâteau, ce qui veut dire que même l'alliance traditionnelle de la gauche avec les premiers n'est plus de mise. -Pouvez-vous être plus explicite sur ce point ? -Une partie de la Gauche garde le silence face aux crimes répétés perpétrés pas les intégristes contre la société civile. Les attaques barbares de ces derniers contre les maisons closes, les bars, les artistes comme Nouri Bouzid ou bien encore contre les militaires ces derniers jours ne l'ont pas inquiétée le moins du monde. Ce mutisme très inquiétant s'expliquant par des arrangements électoraux ne peut que nuire à la gauche, à son image de marque. On tient à ce que notre gauche soit à la hauteur de son histoire militante et qu'elle privilégie les positions de principe et non pas les intérêts partisans. Elle est invitée à rectifier sa lecture de la conjoncture, la nature ultra réactionnaire de « Ennahda » et consorts ne lui échappe pas, alors elle devrait en tirer les conséquences qui s'imposent et adopter l'attitude adéquate qui la replacerait aux devants de la scène et la remettrait à la place qu'elle a toujours occupée. Assez des occasions manquées, la Gauche doit assumer ses responsabilités, il n'y a plus de place aux arrangements. -Mais «Ennahdha» prétend être prêt à jouer le jeu démocratique. - Ce sont des propos creux destinés à se farder la devanture, la réalité est tout autre. La démocratie pour les « Nahdhaouis », c'est d'être au pouvoir, celui-ci, d'après eux, est l'affaire des seuls islamistes. Ils entendent nous gouverner par la loi divine, « la charia », et ne cachent pas leur hostilité à la société civile, la citoyenneté est, pour eux, une invention occidentale, c'est pourquoi ils ne cessent de revendiquer leur appartenance islamique. En témoigne leur position vis-à-vis du Pacte Républicain : au départ, ils y ont opposé un refus catégorique, puis, ils ont soumis leur acception à des conditions, les leurs bien sûr qu'ils ont voulu nous imposer, enfin, ils s'en sont complètement désengagés faisant table rase des revendications véhiculées par notre Révolution. Ils préparent un retour au despotisme mais à visage islamiste cette fois-ci : « Ennahdha » veut relayer le RCD, pour y parvenir, elle compte énormément sur l'argent politique. Ce mouvement qui était totalement absent lors de la Révolution et qui ne s'est manifesté qu'au retour de son guide vient aujourd'hui réclamer des droits sans avoir consenti le moindre sacrifice. -Ce n'est pas exagéré de votre part de taxer d'anti démocrate un mouvement qui compte passer par les urnes ? -La démocratie ce n'est pas seulement les urnes, il ne faut pas oublier que celles-ci ont sorti Hitler, Le FIS et Hamas. Donc la conjoncture et les conditions objectives interviennent dans une très large mesure dans le choix des électeurs. Par ailleurs, la démocratie a ses règles qu'il faut accepter indistinctement, elle est un tout indissociable, elle ne consiste pas à en accepter quelques éléments et à en rejeter d'autres. Celui qui s'en prétend est dans l'obligation d'accepter les adversaires politiques, ceux qui sont dans l'autre camp, de respecter leur volonté et de ne pas voir en eux des ennemis. « Ennahdha » est loin de jouer le jeu démocratique, déjà elle est très sceptique à l'égard de la Haute Instance, elle considère que son rôle doit se limiter à l'opération électorale et qu'elle n'a pas à s'ingérer dans les dossiers politiques relatives à l'organisation des partis politiques et au contrôle de leur financement ni à légiférer les lois se rapportant à la liberté de la presse et à l'autonomie de la justice. Donc, elle se focalise uniquement sur les élections dans lesquelles elle voit une vraie aubaine, c'est tout ce qui l'intéresse. -Vous ne voyez pas que «Ennahdha » a muri avec le temps et qu'il a changé sa conception des choses et donc ses méthodes ? -Pas du tout, ce que disent les « Nahdaouis » n'est que du leurre. A leurs yeux, Ben Ali même serait légitime quand il s'agit de s'octroyer un avantage. Ce sont de purs opportunistes qui se servent de démocratie lorsque cela les arrangerait et s'y opposent nettement au cas où elle les incommoderait. Toute l'histoire des islamistes se résume à l'application de la loi divine quand l'opportunité se présente et au dénigrement des autres partis lorsqu'ils se trouvent en dehors de la sphère du pouvoir. Ghannouchi doit son existence à la démocratie occidentale et se permet de la dénoncer. La manifestation la plus gaillarde de cet opportunisme est les arrangements établis dans les coulisses avec ce même Occident dénigré. Je reste persuadé qu'aucune démocratie ne peut tolérer la présence d'un parti politique d'appartenance religieuse, cela fausse à coup sûr le jeu démocratique. Les visées de « Ennahdha » en ce qui concerne l'Assemblée Constituante sont claires, elle est fascinée par son aspect absolu, une fois au pouvoir, elle pourrait tout construire, elle aurait la possibilité de mettre en place un Etat islamiste, c'est pourquoi d'ailleurs elle refuse de signer le Pacte Républicain. Son engagement dans l'opération démocratique se limite aux élections de cette institution suprême. -En ce qui concerne ces dernières, vous êtes pour le maintien ou pour le report de leur date ? -Celle-ci n-est pas déterminante, les partis qui en sont obsédés perdent de vue les conditions et l'enjeu de ces élections. «S'agit-il là d'un calcul aigrefin de la politique?» comme dit Hobbes. Ces politiques ne voient que le pouvoir et négligent l'intérêt du pays, ils veulent imposer leurs agendas. Ce qui prévaut c'est les conditions telles que l'autonomie de la justice et la liberté de la presse, car en cas de fraude, ce serait à ces parties d'intervenir pour astreindre les contrevenants au respect de la loi. L'autre élément à faire prévaloir c'est les conditions techniques et logistiques évidentes démontrées par la Haute Instance Indépendante des Elections. -Comment évaluez-vous le rendement du gouvernement provisoire ? -Ce dernier a l'obligation de se ranger du côté du peuple sans amalgame et sans passivité. Il est appelé à assurer une justice transitionnelle qui consiste essentiellement à des secours rapides et immédiats, à des secours d'urgence. On ne voit pas encore la trace des fonds perçus, le gouvernement provisoire doit rompre avec les slogans creux et les promesses indéfiniment reportées de l'époque sinistre. Si cette situation se prolongeait, les jeunes marginalisés seraient facilement récupérables pour les intégristes qui savent bien monnayer l'argent politique dont ils disposent à profusion. L'autre tâche qui incombe au gouvernement c'est la lutte implacable contre le terrorisme étranger à notre culture et à notre histoire militante. D'autre part, il est tenu à mettre en place une justice républicaine, il faut qu'il comprenne que ce n'est pas la liberté qui menace la sécurité, mais le despotisme et l'islamisme, en d'autres termes, il ne doit pas réprimer les manifestations pacifiques, libres et responsables. Pour ce qui est des échéances prochaines, il est impossible de réaliser des élections démocratiques sans que le gouvernement ne conjugue ses efforts avec toutes les composantes de l'échiquier politique comme la Haute Instance de la Transition Démocratique, la Haute Instance des Elections. Les autres garants de la réussite de ce processus sont la liberté de la presse, l'autonomie de la justice et la mise sur un même pied d'égalité de tous les partis politiques, faute de quoi il n'y aurait pas des élections libres et ce serait le jeu du diable. -Qu'est-ce que vous pensez des prêts accordés à notre pays à Deauville ? -Les prêts venant des grands sont toujours un cadeau empoisonné, on n'a qu'à consulter l'histoire pour s'en persuader. Le meilleur moyen de se relever et de permettre à notre économie de retrouver sa bonne santé c'est de miser sur les richesses nationales et la libération de nos forces productives, notre pari doit porter sur nos jeunes, ils ont donné la preuve qu'ils sont plein de force, d'imagination et de bonne volonté. Alors donnons-leur la chance et n'hypothéquons pas notre pays, c'est là où réside notre vraie issue. -On vous laisse le mot de la fin. -On est face à une période très délicate, donc il faut faire prévaloir la raison, pas n'importe quelle raison mais la raison progressiste. Œuvrons à réaliser les attentes du peuple et les objectifs de la Révolution, ce dernier aspire à un monde meilleur, aidons-le à résoudre ses difficultés sociales, économiques et politiques. Les révolutions sont le produit de problèmes réels et ne tombent jamais du ciel.