Plus de 4000 citoyens ont signé la pétition que le Comité d'Initiative et de Citoyenneté a fait circuler. Les pétitionnaires dénoncent leur exclusion et réclament leur part dans les projets de développement. Ce comité a été constitué par des militants de gauche qui ont quitté le conseil de protection de la Révolution envahi par des intégristes et des forbans. Actuellement, ils sont au nombre de cinquante tous membres dotés des mêmes prérogatives, n'ayant ni président ni secrétaire général, ils agissent loin des partis politiques et s'opposent catégoriquement à leur logique. Les mobiles d'une reconstitution Deux soucis majeurs les ont poussés à s'organiser au sein de cette institution : la lutte contre le désordre régnant dans la région et la réussite de l'année scolaire. Ce jeune comité, qui tout en défendant le droit de chaque citoyen à un emploi stable et à un logement convenable, souligne la nécessité de respecter les caractéristiques de cette région touristique pour la conservation de laquelle il lance un S.O.S aux autorités locales pour qu'elles interviennent incontinent et énergiquement contre la dévastation des forêts, la construction et le commerce anarchiques et les emplois douteux. Entre autres revendications, il exige la conformité au plan d'aménagement de la ville pour la conception duquel 60 millions ont été versés et dont on attend encore l'homologation. Le Comité ne cesse de proposer ses aides aux autorités pour qu'elles puissent réussir dans ses tâches nombreuses et ardues. Et pour plus d'efficacité, il lance un appel à la constitution d'un comité municipal dont les membres seraient indépendants, choisis en dehors des siens. Des richesses indéniables et un sous-développement inquiétant Pour mieux nous éclairer sur la situation régnant à Aïn Draham, nous avons contacté Ali Azizi, membre fondateur du Comité d'Initiative et de Citoyenneté. Il a commencé par faire remarquer qu'en dépit de sa participation très active à la Révolution, les sacrifices consentis et les trois martyrs offerts au pays, la région connaît toujours l'exclusion. « Aïn Draham reste un coin pour le divertissement, seuls les touristes y trouvent leur compte, ses habitants ne figurent pas dans les projets des responsables, nous avons souffert de la négligence et de la marginalisation à l'époque ancienne et nous continuons à vivre la même situation en cette période post révolutionnaire, a-t-il affirmé. » Il a ensuite établi des listes détaillées des richesses naturelles et des ressources humaines existantes. « La forêt s'étend sur 40000 hectares, c'est-à-dire les 2/3 de la superficie globale, a précisé Mohamed Ali Azizi. Sa richesse principale c'est le liège qui assure une recette annuelle de l'ordre de 8 millions de dinars dont elle ne perçoit que 400 millions de millimes. La forêt produit aussi plus de 1000 plantes dont plusieurs sont médicinales telles que la myrrhe, le romarin, le laurier. La région de Aïn Draham est le château d'eau de la Tunisie, elle est entourée de quatre barrages dont l'eau parvient jusqu'à Sfax, elle est également les poumons du pays grâce aux quantités prodigieuses d'oxygène dégagées par ses forêts, a enchaîné notre interlocuteur.» Quant aux richesses humaines, il a recensé 1000 diplômés universitaires et un taux de chômage de 50/00 sur les 50 mille habitants des douze chefs lieux de la région. D'après les chiffres qu'il nous a présentés, Aïn Draham connaît une régression spectaculaire. En effet, pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, il y avait 700 postes fixes occupés par des ouvriers et des ingénieurs, actuellement, il en reste seulement 40 !!! « Si pour chaque 200 hectares, on engageait un ouvrier et un technicien, on pourrait en recruter des centaines », a commenté Mohamed Ali Azizi. » Au sujet de l'emploi, il a déploré la situation des ouvriers des chantiers qui travaillent jusqu'à l'âge de 65 ans sans bénéficier d'une couverture sociale. « Je me demande où sont les caisses sociales, l'inspection du travail et le syndicat ? s'est-il indigné. » Plus de place aux projets parachutés Compte tenu de ces données géographiques et de ces statistiques, le développement de la région reste donc très possible si seulement se manifeste une volonté politique œuvrant dans ce sens. Le porte-parole du Comité d'Initiative et de Citoyenneté a mis l'accent sur la nécessité de la valorisation des potentialités locales, humaines et naturelles afin que ce développement soit durable et réel. Les solutions préconisées à ce propos sont multiples. Il y a, tout d'abord, l'infrastructure routière rurale qui, une fois mise en place, devrait être entretenue d'une manière permanente, selon lui, pour éviter qu'elle ne soit dégradée. Un tel projet serait de nature à fixer les gens chez eux et d'empêcher leur migration a-t-il précisé. L'autre solution qu'il a proposée a trait à la participation des habitants dans la gestion des affaires de la région. Il s'est montré très hostile aux projets parachutés de l'ancien régime qui ont tous échoué. En matière d'élevage, par exemple, le moyen le plus approprié, pour lui, c'est la construction d'étables bien aménagés pour y loger le bétail : l'élevage organisé permet la préservation de la forêt. Toujours dans le chapitre agricole, il a revendiqué l'assistance technique aux agriculteurs par l'Etat, ces derniers disposent d'un périmètre irrigué de 600 hectares, ces terres sont très fertiles contenant zéro salinité pouvant produire même des agrumes. Tant qu'ils ne sont pas assistés, la canalisation existante sera une perte, a-t-il indiqué. L'autonomie, l'artisanat et l'industrie La troisième solution avancée par Azizi concerne l'administration et le tourisme. « Tous les établissements publics comme la STEG, la SONEDE, le bureau de poste, celui de l'emploi ont été vidés de leur personnel et transférés à Tabarka, a-t-il souligné. Il est de même pour les hôtels dont la plupart sont construits dans cette dernière. Tout fonctionne comme si Aïn Draham était la province de Tabarka. Il est donc impératif que notre administration et notre tourisme retrouvent leur autonomie, cela participerait à résoudre ne serait-ce qu'en partie les problèmes du chômage dans la région. Le comble de l'injustice et de l'absurdité à la fois c'est l'implantation des usines de liège dans cette ville alors que c'est la nôtre qui en est productrice, c'est exactement pareil que le tabac produit par Tabarka et qui est acheminé vers Kairouan. Les habitants refusent que des matières premières soient transformées ailleurs, ils n'admettent plus de voir venir des semi-remorques tout vides repartir pleins des richesses de la région, a ajouté le membre du Comité avec une voix indignée. » Il a par la suite formulé une autre recommandation pour le développement durable et réel de la région : activer les travaux de la tranche de l'autoroute Bousalem/Hammam Bourguiba. Ce projet qui atteindra les frontières algériennes permettra à coup sûr une meilleure animation de la région qui sera ainsi complètement désenclavée. Le fer brut algérien transporté loin des frontières pourra être transformé à proximité, c'est-à-dire dans des usines installées dans la région de Aïn Draham. L'instauration d'une zone franche serait très souhaitable pour lui. Il a également évoqué la question relative au gaz de ville. « Nous sollicitons l'application de la convention tuniso-algérienne en la matière. Le gaz réconciliera l'homme avec la nature, il n'abattra plus des arbres pour se chauffer, ainsi, la forêt sera épargnée, a noté Azizi. » Celui-ci a enfin exprimé son souhait de voir se réaliser la restructuration de l'artisanat et la création d'un village qui lui serait propre et où ces métiers manuels pourraient retrouver leur rayonnement d'antan et s'épanouir davantage. Il a rappelé que les Espagnols faisaient travailler 400 ouvriers dans le tapis, le bois et la mosaïque. Pour l'abolition effective du travail des enfants Des projets si ambitieux mettraient fin au calvaire des habitants de Aïn Draham, selon le membre du Comité d'Initiative et de Citoyenneté. « Ils sauveraient surtout nos fleurs de l'avilissement et de la servitude, je veux parler de nos jeunes filles qui sont arrachées aux tables de classe et jetées dans des demeures qui leur sont complètement étrangères où elles sont engagées comme des bonnes. Un drame, celui d'une fille de treize ans illustre bien leur tragédie : elle a été brûlée par vengeance par sa patronne dont le fils a été tué accidentellement pendant qu'il prenait un bain par une fuite de gaz dont la responsabilité lui a été imputée. Elle gît actuellement en prison. Est-ce juste d'incriminer une fillette, de l'accuser d'un crime qu'elle n'a pas commis ? Elle, qui ne connaît ni salle de bains, ni gaz de ville, qui s'est toujours baignée dans une cuve (kassâa) les jours des déluges. Les autorités sont appelées à mettre en application la législation interdisant le travail des enfants qui n'a jamais été observée par l'ancien régime, a terminé notre interlocuteur sur un ton amer et plein d'indignation. »