Rien ne vient du néant, rien ne se produit du jour au lendemain, tout se développe et grandit avec le temps. On ne cesse depuis des mois de répéter que l'anarchie s'installe, que ceux qui profitent de l'impunité et du laisser-aller imposent de jour en jour leur loi. On parle du phénomène comme si, avant le 14 Janvier, notre pays était un modèle en matière de règlement. Ravivons un peu les souvenirs ! Nos rues n'ont jamais connu la paix, elles ont toujours souffert d'encombrement et de pacotille à cause du comportement des automobilistes et des vendeurs à la sauvette. Ni les chaussées, ni les trottoirs n'étaient épargnés, ils utilisaient les unes comme les autres indistinctement pour la vente ou le stationnement : on ne se gênait guère à garer les voitures sur les premières, et à installer les étals sur les seconds. Le feu rouge était tout le temps grillé et le code de la route systématiquement bafoué. Les ordures s'entassaient surtout dans les quartiers les moins favorisés et les services publics comme l'éclairage et l'entretien des routes manquaient ostensiblement. Pour éviter les sanctions, on usait de deux moyens : les accointances et les pots de vin, il suffisait d'avoir les épaules carrées ou bien la poche approvisionnée pour engraisser les pattes. L'insécurité également sévissait au temps jadis. Seuls les familles dirigeantes et leurs courtisans mafieux jouissaient de la paix, tout le dispositif de sécurité était à leur disposition, il les protégeait contre un peuple jaloux et enragé qui osait réclamer des droits et, pire, voulait tout partager ! Son audace inconsidérée et l'oubli de son statut a poussé les forces de « l'ordre », comme nous le savons, à employer les gros moyens : il était inadmissible voire inconcevable que des sujets deviennent citoyens. Ces sujets avaient donc à assurer leur sécurité par leurs propres moyens, ils étaient obligés d'être vigilants de jour comme de nuit, dans les zones désertes comme dans les espaces animés, dans les quartiers populaires comme dans les centre villes. Les braquages et les enlèvements se pratiquaient à proximité du Ministère de l'Intérieur qui ne s'en occupait guère, car il avait l'œil ailleurs, sur les fomenteurs de troubles, les manifestants qui menaçaient la paix sociale. Donc, comme ils ont compris qu'il ne fallait pas compter sur les forces de l'ordre qui s'étaient rangées de l'autre côté et qu'ils ont appris avec le temps à assurer leur auto-défense, les jours de rébellion, ils ont pris les choses en main et c'est ainsi qu'ils ont décrété leur émancipation. La misère cachée Ce qui caractérise une période révolutionnaire, c'est l'état chaotique qui touche tous les secteurs de la vie et les paralyse, il en est le corollaire, la marque traçant les frontières entre les deux ères, celle du passé et celle qui vient d'être amorcée. Et pour arriver à bon port, une révolution a besoin d'un temps énorme pouvant s'étaler sur des années. Alors, tout ce désordre qu'on voit en est la manifestation, il disparaîtra quand le peuple aura fait disparaître tous les symboles du régime déchu qui en est le vrai responsable et qui ne pourrait survivre que dans l'anarchie, que dans des terrains fangeux comme les têtards dans les étangs. Les centre villes transformés en marchés et les marchandises de toutes sortes exposées en pleine rue est un spectacle qui ne lui est pas tout à fait étranger, il en était habitué. Toutefois, il faut reconnaître qu'il l'est par l'ampleur, le nombre des commerçants a augmenté très sensiblement, mais il faudrait y voir l'étendue de la misère sociale qui était fardée par le régime, soucieux de soigner son image de marque, et ne pouvait donc pas s'afficher dans toute sa dimension. On n'échappe pas à la justice révolutionnaire ! L'autre bulle d'oxygène qui prolonge la vie des moribonds du régime déchu c'est bien sûr l'insécurité dont ils sont les instigateurs et les artisans. Faire entrer le pays dans un cercle de violence alimentée et aiguisée par le vide sécuritaire orchestré par eux leur permet de gagner du temps, de se restructurer et d'entraver ainsi la marche de la Révolution. Les milices rcédistes, la vieille garde du Ministère de l'Intérieur et les hommes de main des hommes d'affaires qui ont perdu des intérêts avec le démantèlement de la caverne de Ali Baba sont toujours actifs, ils sont derrière les incendies des forêts et des champs cultivés, les guerres tribales et régionales, les agressions contre des partis politiques… Leur odeur fétide le peuple la sent partout, elle pollue l'air et le rend irrespirable. Alors c'est pour échapper à l'asphyxie, c'est pour rester en vie que les hommes libres de ce pays restent vigilants et mobilisés, ils sont décidés : personne ne leur ravira leur chef-d'œuvre, personne ne leur fera oublier les martyrs ni les blessés, personne ne réussira à faire échapper au châtiment leurs tortionnaires. Le peuple saura obtenir justice de ces criminels, les familles seront confortées et les martyrs reposeront enfin en paix.