Déjà des semaines avant l'arrivée du mois saint, on avait tous remarqué la formation des files d'acheteurs stationnant dans les marchés, dans les grandes surfaces et devant les commerces des produits alimentaires. Ces masses impressionnantes qui investissaient ces lieux ont tout rasé sur leur passage comme des sauterelles, ne laissant que la ruine derrière elles comme si on était en guerre. Ce qui fait que pendant les premiers jours du mois de Ramadhan, on éprouvait des difficultés à s'approvisionner de quelques nécessités au point que la rumeur a couru laissant entendre que la pénurie est due à l'exportation de certains produits. S'il y a du vrai dans cela, la chose trouve, dans une très large mesure, son explication, comme on vient de le démontrer, dans la boulimie du Tunisien. A partir de la deuxième moitié du mois, c'est la ruée vers les boutiques du prêt à porter pour se préparer à l'Aïd. Le problème nous est devenu coutumier, en parler et reparler ça n'avance à rien. Laissons notre concitoyen-consommateur se régaler tranquillement et se ruiner tout doucement, après tout, c'est son affaire. Après le beau temps, vient la grisaille, qu'il assume les conséquences de son comportement inconscient après les festivités et paye ses crédits.
Les retombées de la boulimie Le problème dont on veut parler et qui est l'une des retombées de cette attitude pathologique touche aux autres commerces qui, pendant ce mois, connaissent la crise. Voilà le corollaire de cette consommation effrénée des produits alimentaires et vestimentaires. Samia, propriétaire d'un salon de coiffure, nous fit part de ses inquiétudes pour son commerce qui connaît une paralysie partielle lors de cette période. Toutefois l'image qu'elle nous en brosse n'est pas tout à fait sombre. " Pendant la première moitié, nous affirma-t-elle, je ne travaille presque pas, les femmes s'occupent de leurs cuisines, et vous savez autant que moi que les dépenses sont excessives à cause de la mentalité et des prix exorbitants. Dans le quartier où je suis, qui est mi-populaire mi-résidentiel, rares sont celles qui sortent la nuit pour passer des soirées, et même les aisées parmi elles qui ne s'en privent pas se contentent d'un léger maquillage. Cependant, à partir de la deuxième quinzaine, les choses commencent à changer pour nous, les clientes refont surface et reprennent le chemin du salon, ajouta-t-elle. Ce changement de comportement s'explique par plusieurs raisons : vous avez tout d'abord les cérémonies de circoncision qui sont nombreuses, la plupart des familles préfèrent procéder à ce rituel au cours de ces jours de la fin jugés plus saints, puisqu'ils approchent la nuit du 27. Ensuite, et selon la même logique, c'est pendant cette période que l'on apporte des cadeaux (el moussem) à sa fiancée, on veut donner une sorte de bénédiction aux relations pour qu'elles aboutissent et soient couronnées de mariage et de bonheur. Et on a enfin l'échange des visites entre les familles, n'oublions pas que c'est le mois de l'absolution, c'est donc l'occasion de se concilier ou de raffermir les relations. Toutes ces circonstances nous profitent largement : aller chez la coiffeuse devient impératif, on ne peut pas se permettre d'assister à des occasions pareilles sans se faire belle. Néanmoins et malgré ces améliorations, le moment où l'on travaille le plus c'est la veille de l'Aïd. Donc, il ne faut pas trop se plaindre, on a comme même notre part du gâteau ", termina notre interlocutrice sur un ton légèrement optimiste.
L'Aïd, le salut Ali, propriétaire d'une station de lavage, lui, se plaint plus que la coiffeuse, ses pertes sont beaucoup plus considérables d'après ses prétentions. " J'ai quatre ouvriers et un loyer à payer et pourtant je ne travaille presque pas, nous confia-t-il avec amertume. Depuis le début du mois, je n'ai fait aucune vidange, le service qui me rapporte le plus de bénéfices. Les gens se soucient peu d'entretenir leurs voitures, ils dépassent des milliers de kilomètres le moment de changement d'huile exposant ainsi leurs véhicules à d'éventuels accidents, puisque le moteur s'en ressent. Les dépenses exagérées du Ramadhan ne leur laissent plus d'argent. Même le lavage où il n'y a pas grand-chose à gagner a très sensiblement baissé, on préfère laver sa voiture soi-même avec un tuyau, ainsi on économiserait de l'argent et on passerait le temps pour raccourcir les longues journées du jeûne. Je dois, comme d'habitude, patienter et attendre la veille de l'Aïd pour que la recette s'améliore un peu, ainsi je pourrais compenser ne serait-ce qu'en partie les pertes de tout un mois. "
Les congés forcés Notre troisième interlocuteur est un quincailler. " Je peux vous affirmer que mon chiffre d'affaires a complètement chuté, nous dit-il. Les clients se font de plus en plus rares depuis l'arrivée de Ramadhan, ceux qui ont des chantiers les ont arrêtés, ils ont d'autres priorités, j'ai dû donner des congés à quelques uns de mes employés. " Pour vérifier la véracité de ces allégations, on était allé voir un autre commerçant appartenant au même secteur, celui de l'industrie des bâtiments : un marchand des matériaux de construction. C'était pareil : presque plus de vente. La conséquence directe d'une telle crise c'est bien sûr le chômage : les maçons et les ouvriers sont eux aussi en congé, un congé forcé. On se demande comment ils vont pouvoir participer aux festivités les pauvres.
A qui la faute ? Il est vrai que chaque secteur de métier a sa saison où le commerce devient florissant, mais cela ne veut aucunement dire que pendant les autres moments de l'année ces secteurs végètent. Pour toute activité commerciale, il y a des hauts et des bas, des jours meilleurs que d'autres, les débuts des mois également sont plus joyeux pour les commerçants que leurs fins. De cette façon-là, on peut compenser les choses, équilibrer la balance, alors que lorsqu'on ne travaille pas pendant tout un mois qui est de surcroît le mois le plus coûteux, là c'est différent, notre budget est forcément affecté. A qui la faute, au Ramadhan ou aux citoyens ? Cherchez avec nous la bonne réponse.