Lors de la conférence de presse tenue vendredi par l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), son président Kamel Jendoubi utilisa à deux reprises l'expression « feuilleton électoral » pour parler de la préparation du scrutin d'octobre prochain. Manifestement, il ne s'agissait pas d'un lapsus, même si les psychanalystes y verraient bien un acte manqué très révélateur; la seule formule trouvée à ce moment-là par le président de l'ISIE pour désigner tout ce processus électoral qui n'en finit pas, renvoyait son auditoire à l'univers des séries et des sitcoms. Ça tombe bien, en fait: nous sommes à la veille du mois de Ramadan, période de l'année où l'on nous gave de feuilletons jusqu'à l'overdose. Pour coller donc à l'air du temps, Kamel Jendoubi parla de « moussalsel intikhabi » ; et pour rester dans le même univers, il esquiva la question sur la possibilité de prolonger les délais d'inscription. Ses collaborateurs, présents sur la tribune, éludèrent à leur tour le sujet. C'était sans doute pour ménager le suspense, pour nous tenir davantage en haleine. Lorsqu'il intervint le même jour à la télé, dans le 20 heures de la Nationale, Si Kamel continua à esquiver et, cette fois, devant « 10 millions de Tunisiens » pendus à ses lèvres ! Pourtant, il y avait prolongation dans l'air, mais les bons réalisateurs font attendre le dénouement de leurs productions, et c'est ce qu'on a bien compris à l'ISIE. A dire la vérité, les « feuilletons » de la période transitoire sont nombreux et certaines de nos « séries » révolutionnaires ont des chances de perdurer à la manière des productions mexicaines et comme « Plus belle la vie » de France 3. « Choufli hal » et « Ksibti laâziza » Dans la liste de ces feuilletons, celui que l'on peut intituler « Choufli Hal » (« Trouve une solution à mon problème ») réalise sans aucun doute la plus large audience : depuis le 14 janvier, les gouvernements successifs de l'après-Révolution ne font qu'essayer de répondre à cette demande massive. Tous les citoyens ou presque ont chacun à leur manière pressé Mohamed Ghannouchi et Béji Caied Essebsi ainsi que leurs différents ministres d'étudier et de régler au plus vite leurs cas. Aucun haut responsable n'a été épargné par la vague déferlante des revendications expresses et le rythme des événements fut haletant pour tout le monde. Parfois, ça se termine en happy-end ; mais souvent ça laisse les demandeurs de solutions sur leur faim. Côté mouvements de protestation, nous avons là aussi notre feuilleton à succès : Kasba 1, 2 et 3. La série a en ce moment un nouveau décor, à savoir la Médina de Sfax, mais là-bas, ils n'en sont qu'au deuxième volet. Pour un peu, on aurait produit un « Ksibti laâziza » pour le Ramadan de cette année ! Autres feuilletons passionnants inspirés de la Révolution : les procès à répétition contre Ben Ali et sa famille, contre les Trabelsi, contre les ministres de l'ancien régime et contre les hommes de main du président déchu. La Haute Instance de Ben Achour vit aussi à l'heure des drames télévisuels : le déroulement quotidien de ses travaux ne nous prive ni de retournements de situation, ni de coups de théâtre, ni d'inversion des rôles, ni de tension dramatique, ni d'effets d'attente. De plus, ça traîne aussi longtemps que ces feuilletons à 30, 60, ou 100 épisodes et à 3, 4 ou 5 parties. Les stars ne manquent pas non plus dans toutes ces séries : une fois, c'est Si Béji que les foules adulent, une autre c'est Rached Ghannouchi qui récolte les succès ; une troisième fois, c'est Ahmed Néjib Chebbi que l'on porte au pinacle. Mais qu'on ne s'y trompe pas : personne n'a l'exclusivité du beau rôle. On peut aujourd'hui camper celui du Bon et le jour d'après jouer le Méchant. Curieusement, un seul feuilleton s'est déroulé en très peu d'épisodes : en effet, les négociations sociales de cette année ont été, le moins qu'on puisse dire, expéditives ! Du moins par rapport au rythme lassant qu'elle suivait du temps des dictatures. Quant à l'impression que leurs résultats ont laissée auprès des citoyens, c'est plutôt un goût d'inachevé pour ne pas dire que c'est tout simplement rageant. Abdessalem Jerad a tenu à préciser qu'il ne s'agit pas d'augmentations mais d'ajustements. Merci pour la nuance. A la fête du 1er mai, on fanfaronnait du côté de la Place Mohamed Ali : on nous promettait des augmentations salariales « historiques ». Aujourd'hui, on fait profil bas. Le feuilleton est tout bêtement raté, lamentablement raté ! Ce n'est pas grave : les Tunisiens ont l'habitude des feuilletons minables et ils finissent toujours par les « avaler » avec la chorba, en accompagnement du brik à l'œuf ou en milieu de soirée avec quelques douceurs. Attention quand même, à l'heure du « s'hour », il leur faut quelque chose de plus consistant pour jeûner une journée durant ! Or, la Révolution et la crise qui sévit sous nos cieux et dans le monde nous ont justement placés tous à l'heure du « s'hour » !