La Tunisie consacre deux journées à fêter en l'honneur des femmes : la Journée internationale de la Femme (8 mars) et le 13 août, date-anniversaire de la promulgation du CSP, déclaré « Journée nationale de la Femme ». Chaque année, à cette date-là, tout en rendant hommage à la femme, le peuple tunisien commémore le 55è anniversaire de l'élaboration du Code du Statut Personnel. Dans le sillage des réformes introduites dans ce texte avant-gardiste sous la tutelle duquel la femme tunisienne a été élevée, des droits connus de tous, demeurant aujourd'hui encore inaccessibles à d'autres femmes dans le monde arabe, lui ont été octroyés. Si pendant les 55 ans d'existence du CSP, ces acquis historiques accordés à la femme n'ont pas fait l'objet de pressions ou de menaces majeures, l'heure est désormais à la prudence et à la vigilance. Du temps de Bourguiba, initiateur du projet de réformes, et de Ben Ali, son successeur, le règne sans partage au cours duquel ils ont gouverné de main de fer le pays, ne laissait pas d'autres choix aux détracteurs des réformes que d'obtempérer, bon gré mal gré, et de se taire. Cependant, aujourd'hui que le peuple a fait sa révolution, qu'il a mis fin à la dictature et au despotisme, et que notre pays est engagé dans cette phase de transition, avec ses incertitudes et ses tergiversations, les risques de remise en cause des acquis de la femme sont réels, et les menaces contre les libertés et les droits conquis sont éminentes. Belles invectives Au moment où notre pays est dans le besoin pressant de toutes ses forces vives appelant à l'union sacrée, de toutes ses compétences, sans distinction aucune, des voix émergeant des ténèbres de la pensée humaine tentent de remettre en cause le modèle de société conçu depuis l'aube de l'indépendance à la mesure de cette jeune nation naissante, et qui ne demande maintenant qu'à être consolidé et peaufiné. Dans cette profonde joie de liberté retrouvée et de dignité recouvrée, au lieu de se projeter dans l'avenir pour contribuer à définir les contours d'un modèle de développement à même de hisser notre pays haut dans la hiérarchie mondiale, certains esprits obscurantistes se cramponnent à des idéaux rétrogrades prônant effrontément l'exclusion et l'inégalité des sexes. Rassurés quant à la liberté d'expression obtenue grâce à la glorieuse révolution à laquelle ils n'ont pas contribué, ayant préféré garder lâchement leurs terroirs, ils pointent maintenant leur nez dehors et leurs langues enfin se délient pour se répandre en invectives contre le CSP et tous les acquis octroyés à la femme. Une frange des islamistes, adeptes des interprétations rigoureuses et obscurantistes de l'islam, ont déterré la hache de guerre et se lancent désormais dans une campagne d'intimidation dans le vil dessein de faire pression sur les âmes fragiles. Ils sillonnent les quartiers défavorisés pour diffuser leurs dogmes vénéneux, tentant d'inciter la femme au port du voile avilissant et de lui interdire l'accès au travail en dehors de la maison. Ils parcourent les plages pour en chasser les femmes et les priver de leur droit humain de jouir des plaisirs de la terre. Nous sommes-nous libérés du joug de la dictature politique pour être à la merci d'une autre religieuse? Quant à Ennahdha, quoi que le discours prôné à l'égard du CSP et des acquis de la femme ne soit pas aussi véhément, il n'en reste pas moins que les propos tenus par ses chefs de file sont souvent empreints d'ambivalence et prêtent un peu à ambiguïté. Il est à craindre que cette douceur dans les propos ne trouve sa justification que dans le cadre de la campagne pré-électorale prévalant et que la modération dont font montre à présent les Nahdhaouis ne soit qu'un simulacre de concordance de position, bref, que l'arbre qui cache la forêt. Fanatisme Depuis le 14 janvier, les islamistes fanatiques tentent de monter en créneau et de gagner du terrain ; ils ont à leur actif quelques dérapages répréhensibles et gravissimes contraires aux libertés individuelles, certes isolés et sporadiques, mais suffisants pour tirer la sonnette d'alarme et constituer des signaux forts dévoilant l'unique « projet de société » qu'ils ont en tête : rétablir le califat, imposer la Charia comme source fondamentale du droit, compromettre la liberté du culte, l'esprit d'ouverture et de tolérance, abolir le CSP et remettre en cause les acquis de la femme. La date symbole du 13 août, anniversaire de la promulgation du Code du Statut Personnel, ce texte fondateur de la Tunisie moderne et émancipée, devrait constituer une occasion pour mobiliser l'ensemble de la société civile, les forces démocratiques vives du pays et les partis politiques dans le sens de la préservation du précieux acquis et de sa consolidation. Le bilan de cinquante cinq ans de militantisme et de labeur en matière de droit de la femme est reluisant, même si des lacunes persistantes restent à combler : les femmes travaillent dans tous les corps de métier, dont l'armée, l'aviation civile ou militaire et la police et représentent 72 % des pharmaciens, 42 % du corps médical, 27 % des magistrats, 31 % des avocats et 40 % des professeurs d'université. Entre 10 000 et 15 000 d'entre elles sont chefs d'entreprise. En outre, la participation de la femme dans la vie active est croissante, le taux global d'activité féminin est de l'ordre de presque 26%, et les filles représentent 59,5 % des étudiants de l'enseignement supérieur. Par ailleurs, le taux de réussite des filles à l'examen du baccalauréat 2011, dans ses deux sessions, était de l'ordre de 60,54%, dépassant de loin celui des garçons (39,46%). Au vu de ces statistiques honorables dont notre pays et son peuple ne peuvent que s'enorgueillir, comment daigne-t-on occulter de telles performances et appeler à l'exclusion de ce capital humain de la scène nationale ? Quel droit, civique ou religieux, donne aux uns de décider du sort des autres, les femmes majeures et vaccinées en l'occurrence, et d'en définir à leur guise le statut ? Comment ensuite se permet-on de prêter à Dieu ces lois de malheur ? Dans ce contexte exceptionnel de démocratie ouvrant largement la voie à la liberté d'expression et à la confirmation de soi en tant que citoyen à part entière, souverain et responsable, les droits humains de la femme, pour longtemps tributaires de la seule volonté de l'homme fort au pouvoir, comme ce fut le cas avec Bourguiba et Ben Ali, devront être désormais l'émanation d'une volonté populaire et sociale pérenne, consciente que la relance économique et le salut de notre pays passe inévitablement par l'implication sine qua non de toutes ses composantes et ses compétences, quels qu'en soient la classe, le sexe, l'âge, ou le statut.