A une semaine près de la fin de la période transitoire et l'élection de l'Assemblée constituante, le dimanche 23 octobre, beaucoup de citoyens nous ont dit regretter l'ambiance révolutionnaire et la situation de ‘'non droit ‘' qui ont marqué ces dix derniers mois, la vie en Tunisie, et accordé à la population tunisienne , pour la première fois de l'histoire, une grande marge de liberté d'action, dans tous les domaines. Avec la réinstauration de la légalité fondée sur le texte constitutionnel, ils appréhendent un tassement de la spontanéité révolutionnaire, au profit du respect voulu ou forcé de la légitimité constitutionnelle. Un commentateur nous a dit qu'au cours des dix derniers mois, et comme tout le monde se plaisait à le répéter, aucune personne, ni aucune partie, y compris le gouvernement de transition, ne pouvait prétendre représenter la volonté populaire et parler, au nom du peuple. Aussi, malgré l'état d'exception, tous les moyens étaient bons pour faire valoir ses droits : les occupations successives de la place du gouvernement à la Kasbah, celles des lieux de travail, les débrayages ininterrompus, les coupures de routes, d'eau et d'électricité, le non paiement des taxes et des redevances, les installations et les constructions anarchiques, les violentes réactions pour un oui et pour un non, parfois à l'égard des proches et des habitants de la même cité. On a assisté à une explosion sans précédent des revendications, de constitution de partis politiques, d'organes d'informations, d'associations, tandis que les tribunes libres étaient partout et continuellement organisées pour s'exprimer et dire leurs opinions, à propos de tout, sans réserves. L'avenue Habib Bourguiba à Tunis était devenue, notamment pendant les premiers mois de la Révolution, le lieu de rendez vous des révolutionnaires et des contestataires qui y venaient, quotidiennement, haranguer les foules, cherchant à maintenir vivace et éveillé, à jamais, l'esprit révolutionnaire, devant les regards indifférents des unités de la police et de l'armée, chargées de veiller sur la ville et les sièges des ministères. C'est que pour la première fois de l'histoire lointaine et récente de la Tunisie, le citoyen a pris le dessus sur l'ordre public. Lors d'attaques de postes de police, après la Révolution, les agents de l'ordre avaient préféré ‘'déserter'' et fuir la spontanéité révolutionnaire, en sautant parfois du troisième étage, plutôt que de tirer sur les assaillants parmi les citoyens, car, ils savaient que, désormais, ils seraient sévèrement punis, s'ils le faisaient. Après avoir laissé faire, quelque temps, le gouvernement de transition a cru bon, ces derniers mois, de brandir les considérations liées au prestige de l'Etat et à la peur de l'effondrement économique et social, pour renverser l'équation, et donner la primauté au maintien de l'ordre public au détriment du citoyen et de la spontanéité révolutionnaire. C'était un choix et non pas une nécessité, car une autre équipe gouvernementale aurait pu choisir la voie de l'incitation à davantage de spontanéité et d'action révolutionnaires, comme l'a affirmé un analyste. En effet, l'équilibre social n'est pas encore retrouvé de sorte que la situation, en Tunisie, reste propice à tous les développements avec ou sans la réinstauration de la légitimité constitutionnelle.