Jusqu'à hier, nous avions comme l'impression, nous autres Tunisiens que la France nous narguait. Mais nous lui trouvions des excuses : elle fait le nettoyage en Libye et, donc, elle est très occupée. Mais voilà qu'après un silence strident de plusieurs mois, le président Sarkozy se ravise de veiller au respect de la démocratie en Tunisie – lui, qui évitait d'écorcher la sensibilité de Ben Ali – et presque simultanément M. Juppé enfonce le clou : l'aide de la France à la Tunisie est désormais conditionnée. Sans doute la déferlante nahdhaouie a-t-elle accentué les appréhensions françaises dans une espèce de Schizophrénie ancestrale : la France colonisatrice vit dans ses tréfonds, avec une âme arabe qui la persécute qui la recolonise chaque jour. L'amalgame est vite établi : l'âme arabe interpelle cette religiosité sujette à caution parce que toujours représentée sujette à extrémisme religieux. Et pour la plupart des Occidentaux l'extrémisme religieux ne peut être que basé sur la chariaâ islamique (a-t-elle jamais existé) épouvantail fabriqué de toutes pièces pour cultiver le néologisme post-freudien et qui s'appelle « islamophobie ». Seulement voilà : personne, pas plus en Tunisie qu'en France, ne donne à Ennahdha le bon Dieu sans confession. Ne doit-on pas néanmoins mater cette peur phobique et croire en un gouvernement (pas forcément un régime) islamiste et modéré sous la conduite d'Ennahdha ? Pourquoi l'Islam modéré reste-t-il un oxymore aux yeux de la France alors que les Etats-Unis scandent déjà le « Moyen post-islamiste ». Car au moment où M. Juppé met tout au conditionnel, des hommes d'affaires américains sont en Tunisie. L'Amérique s'implante en Tunisie après l'avoir fait au Maroc et en Algérie. La France y perdrait beaucoup.