Par Youssef Seddik - Nos lecteurs seront heureux de lire Youssef Seddik et de savoir que, cette fois, il s'y met pour de bon Plus laids que les propos d'un mauvais perdant, les commentaires prophétisants…après coup. Loin de moi la première attitude.Le quotidien arabophone Assabah m'a interrogé bien avant les résultats finaux et j'y ai affirmé que je ne saurais siéger quand bien même je serais élu. Car, j'imaginais la Constituante tout autrement: un lieu où des tribuns, patriotes, experts et soucieux de l'histoire et de l'avenir de la Tunisie allaient débattre dans la seule solitude de la pensée. Pédant que j'ai toujours été, je m'imaginais devenir par la force des voix un Saint-Just ou un Danton avant le couperet, gesticulant, vociférant scandant mes ardeurs vocales avec les pauses, les emphases, et les euphémismes pervers afin d'arracher à mon contradicteur la concession pour le mot le plus juste le synonyme le plus adéquat la virgule la mieux passante et le retour à l'alinéa le plus digne du plus doux soupir de satisfaction. Force à mon pédantisme et à mon imagination débordante de déchanter ! L'hymne à la transparence à la participation populaire massive, à la discipline des votants, à la rigueur des chemins balisés vers l'isoloir ne m'a même pas laissé le temps de tituber et d'essayer de me maintenir après l'uppercut que j'ai reçu juste à l'annonce des résultats finaux. Auparavant, j'ai été savamment rassuré par les voix d'observateurs internationaux en partance de Tunis soulignant le caractère irréprochable de cette consultation. J'y ai cru, aucune raison de ne pas y croire tellement j'avais envie de prendre nos désirs à tous pour la réalité déjà avérée. J'ai attendu comme tout le monde l'annonce finale de l'ISIE plusieurs fois reportée pour cause de difficultés de comptage, justification permanente augmentée à chaque fois de vagues informations sur des irrégularités toujours qualifiées de bénignes. Le triomphe d'Ennahdhaa toujours été à portée de toutes les prévisions sauf qu'un élémenttout neuf est venu donner à cette transparence affichée par la nation reconnaissante un air de si trouble aspect qu'elle en est devenue une ténébreuse opacité. Une trentaine de listes victorieuses ont poussé partout comme des champignons après l'averse sans que personne même parmi les candidats en campagne n'avait le moyen d'en percevoir l'existence ni d'en prévoir le danger. Comment parler de transparence pour l'institution fondatrice d'un pays, celle qui constitue son texte fondamental alors que dix pour cents des candidats de celle ci ont fait leur campagne, ont été élus par un téléguidage de l'étranger ? Comment y voir seulement un effet marginal, un épiphénomène, tout juste un incident qui n'empêchera ni la tenue de la séance inaugurale, ni la nomination d'un Premier Ministre et d'un Président de la République ni l'établissement d'un agenda pour concevoir et écrire la Constitution de la Deuxième République ? Pis encore : l'auteur de cette entourloupe gigantesque et magique, suite à l'invalidation de quelques unes de ses listes, déclare retirer le tout de sa présence sur le terrain électoral. Un demi million d'électeurs, parmi ceux qui nous ont fait chanter l'hymne à la joie en ce 23 octobre, vient de disparaître par un simple revers de la main ; et l'on parle encore de transparence ! Une transparence qui à la fois cache et révèle tant d'énigmes serait-elle encore cette transparence salutaire que nous venons tous de fêter ? Si nous ne tenons pas à ce que le soleil noir de la mélancolie nous enveloppe demandons à Ennahdha, la seule instance capable aujourd'hui de nous éclairer, de répondre, du fait précisément de son triomphe justifié et, cette fois-ci, dans la transparence. La vraie.