En Tunisie, le principe «travailler plus pour gagner plus» devient de plus en plus répandu, surtout dans le secteur privé. Ce principe qui, dans sa forme, représente une solution pour combattre la flambée des prix et s'approvisionner d'une petite fortune, constitue également l'arbre qui cache la forêt, étant donné qu'il est la première cause du stress au travail selon les spécialistes. En effet, la surcharge de travail, le manque de temps, l'absence d'autonomie, les conflits entre collègues ou avec le supérieur hiérarchique, ne sont que quelques exemples des difficultés que l'on peut rencontrer au cours de son activité professionnelle.
Stress, violence, harcèlement, épuisement professionnel sont autant de préoccupations rencontrées lors de l'exercice d'une activité professionnelle. Ces dérèglements peuvent avoir des répercussions sur le bien-être psychologique des travailleurs. Pour confirmer nos hypothèses «l'Expert» a recueilli quelques cas illustrant les différents risques psychosociaux au travail.
Témoignage
Ahlem Dalhoum, 28 ans, secrétaire de direction dans une entreprise de 200 personnes fabriquant du mobilier de bureau. "Le matin, avant d'arriver au travail, quand je pense à ce qui m'attend, ça m'affole déjà. Et ça va de mal en pis au cours de la journée. Rien ne se passe comme je le souhaiterais. Je suis constamment interrompue par le téléphone, par des gens qui me demandent des renseignements que j'ignore, par des collègues qui rentrent dans mon bureau pour consulter des dossiers... Et mon chef, je l'aime bien, mais il voudrait que ce qu'il m'a demandé la veille à 18h soit déjà prêt quand il arrive le lendemain matin. Avec tout ça, je fais des bêtises en voulant faire trop vite... J'ai trop de choses à faire, et tous les imprévus comme ce matin où une panne d'électricité a eu lieu! Ce que j'ai tapé a disparu et il a fallu recommencer... Et encore ce matin: trois personnes absentes à l'expédition, j'ai dû appeler la boîte d'intérim... Je cours, je cours... je sens que je vais craquer. Je suis fatiguée, je mets un temps fou à m'endormir, je rumine... et le matin, à 6 heures, il faut se lever. Je suis crispée. Je ne prends plus le temps de discuter avec mes collègues, non pas qu'avant j'y passais ma journée, mais on se disait bonjour, on allait prendre un café ensemble. Maintenant, c'est réduit au minimum... Vous savez, quoi? C'est la course vers la fortune ! C'est complètement fou!». Cette situation est typique d'un problème de stress: Ahlem est débordée par sa charge de travail. Les difficultés qu'elle rencontre ne sont pas créées délibérément pour la faire craquer, mais elles sont liées à l'organisation et à la nature de son travail.
Rammeli Youssef, 31 ans, chargé de clientèle dans le secteur de l'assurance des personnes. "Ça fait maintenant sept ans que je suis en production dans l'assurance de personne. Les objectifs ne sont pas toujours faciles à atteindre, ils sont même parfois irréalisables!... Mais, bon! Cela stimule aussi... Ce ne sont pas les objectifs qui sont le plus difficile à supporter, en fait. C'est plutôt l'agressivité des clients ou des prospects. Les raisons de leur mécontentement peuvent être multiples : impossibilité de les assurer, augmentation de leur cotisation, retard de l'expert, indemnisation de leur préjudice jugée insatisfaisante, etc. A la longue, c'est pesant, ce sont toujours les mêmes plaintes, c'est toujours moi qui en prends plein la figure, alors que je n'y suis pour rien! Ce n'est pas marrant tous les jours, surtout quand on est seul à l'agence. C'est même parfois dangereux... J'ai un collègue travaillant dans un quartier un peu "chaud" qui s'est fait braquer, pour le contenu de la caisse (un assuré était venu régler sa prime d'assurance en espèces cinq minutes plus tôt!...). Moi-même, un jour, je me suis retrouvé séquestré dans l'agence par un client et trois de ses copains. Il était venu à nouveau réclamer le remboursement de son véhicule, suite à un vol, survenu 3 mois avant. Le règlement tardait, forcément car sur ce sinistre une enquête avait été ouverte et a démontré déjà que l'assuré cherchait à "arnaquer l'assurance". Il était 19h00 passées et j'ai eu du mal à joindre une personne du siège... J'ai finalement eu en ligne le directeur général de la société. J'ai eu du mal à le convaincre qu'il y avait danger. Mais il a fini par intervenir auprès du client et a réussi à "calmer le jeu"... J'ai vraiment eu une grosse frayeur ce jour-là! Et au quotidien, même si ça prend une moindre ampleur, c'est dur aussi à vivre" (...) La violence externe peut prendre des formes diverses qui vont de l'incivilité à l'acte violent, en passant par l'agression verbale. Les difficultés que rencontre Mohamed dans son travail sont essentiellement dues à la tension dans les relations avec la clientèle. Cette tension peut être plus ou moins vive, mais elle est toujours là, présente. Selon les spécialistes, la violence externe au travail se retrouve principalement dans deux types d'activités professionnelles: soit dans les activités de service telles les transports en commun, l'hôtellerie, le travail au guichet où les contacts sont fréquents, et peuvent générer des tensions ou dégénérer en conflits, soit dans des activités impliquant la manipulation d'objets de valeur (activités bancaires, bijouterie, commerces, convoyages de fonds...). Dans le harcèlement moral, il y a une intention de nuire. L'objectif est, d'une manière ou d'une autre, de se débarrasser d'une (ou plusieurs) personne(s), parce qu'elle(s) gêne(nt). Les conséquences du harcèlement moral sont bien souvent dramatiques, et quelquefois irréversibles.
Mr. Mourad Harrabi, 44 ans, responsable du service marketing dans une entreprise du textile "Je travaille dans une entreprise de textile dans le même service depuis 20 ans lorsque la direction a décidé d'étendre son activité et de créer un service supplémentaire. J'ai décidé de postuler pour devenir responsable de ce nouveau service. La direction a retenu ma candidature et j'ai pris rapidement mes nouvelles fonctions. Une semaine plus tard, mon supérieur immédiat m'a dit clairement qu'il n'était pas d'accord avec ma mutation à ce poste. J'ai appris plus tard que son fils venait d'obtenir son diplôme et qu'il pouvait prétendre au même poste que moi. Alors, progressivement, j'ai vu ma charge de travail augmenter. Mon chef me donnait des tâches qui ne relevaient pas de ma fonction. A chaque fois, il n'était pas satisfait de mon travail, et me demandait de le refaire. Il répétait sans cesse que je n'étais pas assez organisé, et donc pas à la hauteur des tâches qui m'étaient confiées. Lorsque je lui ai dit que ça ne pouvait plus durer et que j'allais faire remonter le problème à la direction, il m'a répondu que j'étais incompétent et que je manquais de conscience professionnelle. Depuis ce jour, la situation n'a cessé de se dégrader. Mon chef ne m'adressait plus la parole directement, communiquant uniquement par notes. Systématiquement, il annulait sous de faux prétextes les réunions que j'organisais. Les personnes de mon équipe ne venaient plus me consulter, parce que mon chef leur avait dit de venir le voir directement sans passer par moi. A ce régime là, j'ai tenu un an, avant de tomber gravement malade". Le cas de Mr Ridha Triki, s'agit d'un cas authentique de harcèlement moral: un supérieur hiérarchique "s'acharne" à mener une vie d'enfer à un subordonné pour tenter de le décourager, du "casser" et le faire partir, et ainsi récupérer le poste pour y mettre quelqu'un de son choix. Il le dissuade de parler de la situation et réussit finalement à le faire craquer. Notre enquête sur le Stress, la violence et l'harcèlement au travail, nous a révélé un résultat évident, celle du phénomène de l'épuisement professionnelle qui se manifeste par un épuisement physique, mental, émotionnel, un désintérêt profond pour le contenu de son travail et la dépréciation de ses propres résultats. Espérant que les supérieures au travail prennent consciences de la gravité de la situation et cherche le remède adéquate pour en finir avec ces problèmes psychosociaux qui affectent certes la productivité nationale.