• La phase de compilation entachée d'irrégularités Pour l'observation des premières élections libres et pluralistes, Mourakiboun, premier réseau indépendant d'observation en Tunisie constitué de 6 associations citoyennes, a formé et déployé près de 4000 observateurs sur l'ensemble des 27 circonscriptions du pays ainsi qu'en France et en Allemagne. Dans une déclaration préliminaire, ils affirment que le scrutin du 23 octobre s'est déroulé sans incident majeur. Ils considèrent, néanmoins, qu'il a été écorché par un grand nombre d'irrégularités, souvent mineures. C'est plutôt la phase de compilation des résultats de l'élection qui a été entachée d'irrégularités et d'entraves graves à la transparence. Un acquis : la création d'une institution indépendante chargée de l'organisation des élections (ISIE). Elle représente une avancée indéniable pour renforcer la confiance des citoyens dans le processus électoral. Toutefois, l'ISIE a été confrontée à de sérieuses difficultés organisationnelles. La mise en place d'une structure administrative, financière et technique a accusé de nombreux retards et laissé apparaître certaines insuffisances, notamment dans sa communication. Malgré les moyens investis dans une campagne de communication massive, le message de l'ISIE est longtemps resté hésitant voire ambigu sur le caractère actif ou passif du processus d'inscription sur les listes électorales. L'enregistrement a ainsi débuté sans cadre règlementaire établi, l'ISIE se contentant de communiquer au bout de quelques jours, par le biais de réseaux sociaux et d'interviews que le processus était passif. En outre, l'impossibilité technique d'affecter correctement tous les électeurs à un centre de vote proche de leur domicile sur la base des seules données de leur carte d'identité a conduit à la mise en place, en dernière minute, de centres de vote spéciaux pour les inscrits «automatiques ». Toutefois, force est de constater que l'ISIE a su relever le défi logistique de l'organisation du scrutin dans des conditions matérielles acceptables sur la quasi-totalité des bureaux de vote à travers le pays. Mourakiboun, rappelle que l'impératif de transparence impose, pour l'ISIE, de tout mettre en oeuvre pour permettre aux citoyens tunisiens de s'assurer de l'intégrité et de la traçabilité des résultats. Ses observateurs demandent la publication dans tous les centres de compilation et sur le site internet de l'ISIE, du détail par bureau de vote des résultats provisoires annoncés le 27 octobre, incluant les éléments essentiels au contrôle de leur intégrité : nombre d'inscrits, de votants, de bulletins nuls… Le 23 octobre, Mourakiboun a déployé 3 320 observateurs répartis sur les 27 circonscriptions. 1 426 observateurs fixes dans les bureaux de vote, 1 482 observateurs mobiles dans les centres de vote et 412 superviseurs mobiles entre les centres de vote dans les délégations ce qui a permis d'observer les opérations de vote dans 4 390 bureaux de vote et 1 482 centres de vote. La répartition géographique des observateurs a permis la couverture de 91% des délégations dans les 27 circonscriptions. A l'intérieur des bureaux de vote on a surtout remarqué que le vote dans 92% des cas a commencé avant 07h20.Le matériel électoral était disponible dans presque tous les bureaux ; les forces de sécurité étaient présentes dans tous les centres de vote. Des problèmes d'orientation des électeurs (ne trouvant pas leurs noms sur les listes des inscrits) vers les centres spéciaux se sont posés. L'affluence était grande et des files d'attente importantes se formaient dès l'ouverture des bureaux de vote destinés aux inscrits volontaires. Les centres de vote spéciaux destinés pour les électeurs inscrits d'office ont connu une affluence nettement plus faible. Plus de 600 incidents de suspensions momentanées (durée inférieure à 15 minutes) ont été signalées durant les 2 premières heures de vote. Ces suspensions sont dues à la grande affluence et au manque d'expérience des agents régulateurs des files d'attente. L'encombrement des bureaux de vote est dû principalement au nombre élevé de votants (dépassant les 850) inscrits par bureau, cumulé à un taux de participation supérieur à 90% dans certains cas… Les procédures et le secret du vote ont été largement respectés (variant entre 93 et 98% selon les circonscriptions).Un nombre réduit de votants a été autorisé à voter sans pour autant procéder à l'encrage. Plusieurs cas d'influence des électeurs par les membres du bureau de vote et les représentants des listes ont été relevés. Dans certains cas les présidents des bureaux de vote ont autorisé des personnes ne pouvant pas justifier de leur handicap (comme prévu par la loi) à être assistées dans les isoloirs… Généralement c'était le cas des analphabètes. Dans l'enceinte des centres de vote, les observateurs mobiles ont recensé certaines infractions comme le non affichage des listes des inscrits à l'extérieur des bureaux, des actions de campagne électorale active par des représentants de listes : distribution de tracts, distribution des logos et des numéros de certaines listes candidates aux électeurs, suspicion de tentatives d'achat de voix dans certains centres, quelques cas de violence physique et verbale entre les partisans de listes concurrentes, envahissement des bureaux de vote par des électeurs qui ne voulaient plus attendre leur tour dans les files d'attente, intervention à plusieurs reprises des forces de sécurité pour rétablir l'ordre…Dans plusieurs cas, les électeurs ont quitté les centres, sans avoir voté, lassés des longues heures d'attente. La transparence du processus de centralisation et de compilation a été très hétérogène entre les circonscriptions. L'accès au centre de compilation de la circonscription de Mahdia a été refusé à tous les observateurs (Lundi 24 octobre). Les premiers observateurs n'ont pu y accéder que le lendemain et ce malgré les multiples requêtes auprès de l'ISIE. Le centre de compilation de la circonscription de Béja a exclu les observateurs de la zone de compilation effectuée dans une autre salle que celle où étaient placés les observateurs. Ils n'ont pu assister qu'à la présentation des procès verbaux des bureaux de vote sans lecture de ceux-ci ni affichage. L'essentiel de la compilation a été effectué à huis clos. Dans la circonscription de Sidi Bouzid, l'opération de collecte et de compilation ne s'est pas faite de façon continue et a été interrompue durant deux nuits. Les observateurs ont été invités à partir afin de fermer le centre de compilation sous prétexte de fatigue du personnel du centre. La compilation reprenait le lendemain à 08h00. Dans les circonscriptions de l'Ariana et de Tunis 2, les observateurs ont été priés, parfois obligés de se placer derrière un périmètre de sécurité ne permettant pas d'observer la compilation des résultats. Lors du scrutin à l'étranger, des dépassements ont été observés. Ils ne remettent pas en cause les résultats définitifs du vote. Des conclusions et recommandations détaillées seront incluses dans le rapport final qui devra être publié dans un délai de 3 mois.